À Dominique Pagnier par Bertrand Degott
À Dominique Pagnier,
pour Le Quadrille français.
J’ai levé les yeux de ton livre. Il neige
dans tes mots, chacun tourbillonne et fond
sitôt qu’on essaie d’y toucher. Au fond,
c’est comme avec cet effrayant manège
qu’on nomme à défaut de mieux l’univers.
Mon cœur, Dominique, aujourd’hui résonne
de ton impression de n’être personne
et, tu vois, je peine à le dire en vers.
Mais qui croisais-tu dans les rues de Vienne ?
quel alter ego ? quel שלומיאל
avec
son ombre ? — Ossian Stern, Helga Papouscheck,
ces noms revenant ainsi qu’une antienne,
ah ! ces noms… Zapryan Zapryanov
Protopopoff, Fanny Rolett l’exquise,
Elisabeth Pellikan la promise
et Frau Esther Stern dont on rêve en off,
tous habillés par Dirndl & Trachten,
ces noms, tous ces noms… Yellow Submarine,
le Birobidjan voulu par Staline
(j’en passe et beaucoup de même farine !),
Hölderlin, Nerval, le spectre d’Auden.
— Qui est au volant de votre voiture
(la SF 500) ? — Mais… les Élohim !
— J. R. Oppenheimer, je vous assure,
c’est à lui qu’Ossian doit son Nim, nim, nim…
J’entends, par la voix qu’avait ma grand-mère,
qu’on s’exclame « Du, heiliger Bimbam! »
Am, stram, gram, pic et pic et colégram,
dansons le détail, chantons l’éphémère.
Le temps de danser, la neige a fondu.
À présent je vais au milieu des feuilles
de l’automne et toi, sous la pluie tu cueilles
les éclats d’un monde à demi perdu.
Mais, pure hypothèse, admettons qu’il neige,
nous avancerons, certains zozottants,
la plupart flottants… Aussi ponctuerai-je
ma prose en souhaitant que Dieu te prothèse.