03 juin
2005
Faire hommage. par Christian Bernard
En intitulant ces notes « Faire hommage », j'évoque évidemment l'hommage rendu à Jean-François Taddéi, à travers l'exposition Pour les oiseaux, au Frac des Pays de la Loire, à Carquefou, durant l'été 2004. Mais au moment de décrire la forme que j'ai souhaité donner à cet hommage, j'aimerais observer qu'en fait, toute exposition est ou devrait se présenter et se penser dans le régime de l'hommage. Exposer, c'est en effet faire hommage, rendre grâces - intransitivement déjà, mais aussi, notamment, à des œuvres, dans des lieux, parfois à des lieux et toujours pour des regards de pensée sensible. Une exposition qui ne serait pas portée par un mouvement de gratitude et un désir d'éloge ne saurait en espérer pour elle.
Depuis une dizaine d'années, le nom de « curateur » tend à se substituer à celui de commissaire pour désigner l'organisateur d'une exposition. C'est que le commissaire de police a fait oublier que son nom provient de commettre, qui signifiait par exemple : mettre ensemble, mettre aux prises. Le curateur, dont le nom nous revient du latin via l'anglais, n'est-ce pas, étymologiquement, celui qui a en charge de prendre soin ? Le souci du soin, c'est où se fondent l'éthique et l'esthétique de l'exposition. Nous savons bien que les expositions sont des systèmes de signaux aux enjeux multiples où se jouent aussi des carrières croisées et des rapports de force. Cela ne nous dispense pas d'en attendre plus. Le geste d'exposer, s'il s'adresse, s'adresse d'abord à des « œuvres de l'art ». C'est un geste d'exaltation, une exercice d'admiration. On ne partage que ce dont on exprime l'amitié et le respect. Cela n'implique nullement qu'il faille y déployer les apparats de l'emphase ou de la religiosité. Et c'est toute la question de la forme du soin.
... .
Mais faire exposition, ce n'est évidemment pas aligner les trophées d'une collecte en une galerie taxidermiste de têtes d'affiche soluble dans une playlist - car les œuvres nous sont toujours d'abord des noms qu'elles indexent ou des objets non attribués et donc dotés d'un faible coefficient de visibilité ou de regardabilité. Faire exposition, ce n'est pas non plus reconduire docilement les taxinomies étanches au sein desquelles les œuvres ont trouvé leur premier (et longtemps unique) cadre réceptif ; ce n'est pas davantage agenouiller le regard devant d'improbables hapax.
Je crois qu'exposer - dans le cas de figure dont je parle - c'est-à-dire exposer une collection ou plutôt exposer avec une collection ou une réunion, toujours plus contingente qu'on ne voudrait, d'œuvres d'art, c'est construire un contexte spécifique de contextualisations multiples. Ce contexte est évidemment déterminé par le lieu d'accueil dont il propose, latéralement ou non, ce qu'on appelait, il y a quelques lustres, une lecture. Et ce contexte doit favoriser un colloque polyglotte, un polylogue tissé de toute une rumeur conversationnelle multipiste.
Il y a une socialité latente, une sorte de sociabilité secrète des œuvres qu'il s'agit de rendre sensible, en subsumant leur variété, leur altérité, dans l'agencement d'un ensemble continu, en dépliant leur polysémie, en déplaçant leurs identités pour tester de nouvelles compatibilités réciproques. Il y a une proxémique des œuvres qui est toujours à réinterroger, une méthode anti-catégorique du bon voisinage qu'il faut sans cesse réinventer.
C'est, du moins, l'horizon de réflexion appliquée dans lequel j'ai travaillé pour élaborer l'exposition Pour les oiseaux.
Une exposition est toujours le déploiement d'un espace-temps où les éléments mis en jeu restent en état de pré-montage. C'est le regard flottant du visiteur qui opère le montage final, au gré de sa flânerie plus ou moins accueillante, plus ou moins désirante. Tout le travail consiste, sinon à anticiper ce regard, du moins à lui offrir le plus possible d'occasions de se maintenir aux aguets, de se surprendre à revenir sur ses mouvements spontanés. Le sentiment de déjà-vu est l'enfer de l'exposition. Celui de voir comme pour la première fois en est l'idéal paradigme.
Pour les oiseaux, son titre l'indique assez, se demandait à qui s'adressent réellement les œuvres de l'art. Je ne saurais répondre à cette question mais ce que je sais, c'est qu'elles ont plus de chance de croiser des regards si ces regards sont avertis du soin nouveau qu'on a pris d'elles en les donnant à voir.
Depuis une dizaine d'années, le nom de « curateur » tend à se substituer à celui de commissaire pour désigner l'organisateur d'une exposition. C'est que le commissaire de police a fait oublier que son nom provient de commettre, qui signifiait par exemple : mettre ensemble, mettre aux prises. Le curateur, dont le nom nous revient du latin via l'anglais, n'est-ce pas, étymologiquement, celui qui a en charge de prendre soin ? Le souci du soin, c'est où se fondent l'éthique et l'esthétique de l'exposition. Nous savons bien que les expositions sont des systèmes de signaux aux enjeux multiples où se jouent aussi des carrières croisées et des rapports de force. Cela ne nous dispense pas d'en attendre plus. Le geste d'exposer, s'il s'adresse, s'adresse d'abord à des « œuvres de l'art ». C'est un geste d'exaltation, une exercice d'admiration. On ne partage que ce dont on exprime l'amitié et le respect. Cela n'implique nullement qu'il faille y déployer les apparats de l'emphase ou de la religiosité. Et c'est toute la question de la forme du soin.
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Mais faire exposition, ce n'est évidemment pas aligner les trophées d'une collecte en une galerie taxidermiste de têtes d'affiche soluble dans une playlist - car les œuvres nous sont toujours d'abord des noms qu'elles indexent ou des objets non attribués et donc dotés d'un faible coefficient de visibilité ou de regardabilité. Faire exposition, ce n'est pas non plus reconduire docilement les taxinomies étanches au sein desquelles les œuvres ont trouvé leur premier (et longtemps unique) cadre réceptif ; ce n'est pas davantage agenouiller le regard devant d'improbables hapax.
Je crois qu'exposer - dans le cas de figure dont je parle - c'est-à-dire exposer une collection ou plutôt exposer avec une collection ou une réunion, toujours plus contingente qu'on ne voudrait, d'œuvres d'art, c'est construire un contexte spécifique de contextualisations multiples. Ce contexte est évidemment déterminé par le lieu d'accueil dont il propose, latéralement ou non, ce qu'on appelait, il y a quelques lustres, une lecture. Et ce contexte doit favoriser un colloque polyglotte, un polylogue tissé de toute une rumeur conversationnelle multipiste.
Il y a une socialité latente, une sorte de sociabilité secrète des œuvres qu'il s'agit de rendre sensible, en subsumant leur variété, leur altérité, dans l'agencement d'un ensemble continu, en dépliant leur polysémie, en déplaçant leurs identités pour tester de nouvelles compatibilités réciproques. Il y a une proxémique des œuvres qui est toujours à réinterroger, une méthode anti-catégorique du bon voisinage qu'il faut sans cesse réinventer.
C'est, du moins, l'horizon de réflexion appliquée dans lequel j'ai travaillé pour élaborer l'exposition Pour les oiseaux.
Une exposition est toujours le déploiement d'un espace-temps où les éléments mis en jeu restent en état de pré-montage. C'est le regard flottant du visiteur qui opère le montage final, au gré de sa flânerie plus ou moins accueillante, plus ou moins désirante. Tout le travail consiste, sinon à anticiper ce regard, du moins à lui offrir le plus possible d'occasions de se maintenir aux aguets, de se surprendre à revenir sur ses mouvements spontanés. Le sentiment de déjà-vu est l'enfer de l'exposition. Celui de voir comme pour la première fois en est l'idéal paradigme.
Pour les oiseaux, son titre l'indique assez, se demandait à qui s'adressent réellement les œuvres de l'art. Je ne saurais répondre à cette question mais ce que je sais, c'est qu'elles ont plus de chance de croiser des regards si ces regards sont avertis du soin nouveau qu'on a pris d'elles en les donnant à voir.