Joël Baqué, Trois chaos par Éric Houser
M i k a d o des phrases
Il y a des livres, on aimerait les avoir écrits soi-même. En les lisant, c’est comme si on les écrivait (soi-même). C’est bon signe. À mon avis, ça veut dire qu’on se trouve face à une écriture personnelle, à une pensée personnelle de l’écriture (donc, pas une recette, quelque chose de plaqué), et que ça nous incite de ce fait à, soi-même, s’essayer à pratiquer à son tour une écriture et une pensée personnelles.
C’est donc le cas avec ces Trois chaos. Qui ne sont pas de tristes tigres, mais au contraire quelque chose de joyeux, obsessionnel (dans le bon sens) et enlevé. Je tiens à ces trois adjectifs !
Rien de triste dans ces trois textes, qui se suivent et se ressemblent, qui s’assemblent et jouent entre eux (Mikado des phrases). Il y a des fils qu’on retrouve de l’un à l’autre, du premier au second, du second au troisième, du premier au troisième. La combinatoire à trois éléments donne cette distribution qui en « épuise » les possibilités.
Je ne peux faire aucune citation, car si j’ai lu le livre en entier tout à l’heure à la bibliothèque du cipM à Marseille, en revanche je n’ai pas pu l’acheter à l’Odeur du temps (la librairie près du Vieux Port), car le dernier exemplaire venait d’y être vendu. Qu’à cela ne tienne, ma mémoire immédiate n’est pas (encore) défaillante.
Si je ne peux faire aucune citation littérale, je peux quand même dire qu’il est question de filles et de garçons en été, et d’éboulis tant minéraux que végétaux. Comment on peut composer quelque chose avec ça ? Poser la question c’est y répondre, par ce poème subtil, faussement simple, et réellement comique. Comique, donc extrêmement sérieux, mais sans « esprit de sérieux » (la pire des choses). La répétition1(des segments, des phrases, sont répétés, variés, ornés différemment selon le contexte) fait merveille. Fait mouche. Et pour tout dire, fait poème, et beau poème. La légèreté et l’humour sont en permanence là, à fleur de peau, à fleur de texte. Je sors de cette lecture avec une sensation extrêmement agréable, très fine, très grammairienne aussi. Rare ! Un peu comme en sortant de certains films (récemment, Licorice Pizza : vous l’avez vu ?). Ce qui n’exclut pas « une certaine gravité », qui tient aux sujets en filigrane (différence des sexes, adolescence, géologie, observation et perception des choses et du langage - très aiguisées ces deux dernières, ce qui n’étonne pas venant de Joël Baqué, connu pour ses romans pince-sans-rire à l’écriture précise et inventive).
Les citations, s’il y en avait eu, auraient été comme les piquets ou fichets2 dont il est question à plusieurs reprises, avec les buses chasseresses sur leur faîte (tiens tiens, ça ne vous évoque pas le stylite d’un récent roman ?) : des postes d’observation rapprochée.
Vous vous en passerez.
1 « Un concept de la répétition implique une répétition qui n’est pas seulement celle d’une même chose ou d’un même élément. Les choses ou les éléments supposent une répétition plus profonde, rythmique. L’art n’est-il pas à la recherche de cette répétition paradoxale, mais aussi la pensée ? » (Gilles Deleuze, Différence et répétition - thèse majeure, 1968)
2 Pour fichets, Littré donne comme deuxième définition « petites fiches insérées à moitié dans les volumes d’une bibliothèque, et portant le numéro du volume ».