« (H)ibiscouss ! » par Éric Houser
Pourquoi certains mots, prononcés d’une certaine façon, nous ravissent, nous enchantent comme des folles, des fous, et répétés à plus soif nous feraient trébucher de joie sur le trottoir ? Sais pas. Mais je sais que quand j’étais petit, avec la plus jeune de mes tantes, on répétait le mot « fourchette » quelques dizaines de fois, avant de (se) poser la question : « avec quoi on coupe de la viande ? », à laquelle la réponse était, invariablement : « fourchette ! ».
Ce n’est pas tout à fait la même chose que le cas « (H)ibiscouss ! » que je vais relater, mais ça s’en approche. « (H)ibiscus » prononcé « (H)ibiscouss », avec accent fort et un ton plus haut sur la dernière syllabe, « couss », est apparu pour moi avec cette prononciation exotique vers Noailles, mardi 8 février 2022, en début d’après-midi, sous un soleil généreux pour la saison. Pendant une demi-heure environ, l’amie qui ma l’a sorti comme de son chapeau l’a répété à plus soif, avec chaque fois un grand éclat de rire aux yeux blancs. Nous étions, elle et moi son comparse de l’expérience, pâmés.
Le mot était serti dans un récit plutôt du genre drôle. Mon amie s’était mise en quête d’un produit un peu particulier : des fleurs d’(h)ibiscus séchées. Qu’elle pensait pouvoir trouver dans une des boutiques de Marseille susceptibles d’en vendre. Les fleurs séchées, d’une belle couleur rouge éteint, devaient être offertes à une artiste de ses amies, pour « faire une pièce ». Intéressant ! Mais mon amie s’était vite rendu compte que de fleurs d’(h)ibiscus séchées, elle n’en trouverait pas plus que de beurre en branche, du moins dans l’aire géographique qu’elle s’était mis en tête d’écumer pour sa recherche.
Mais, comme un chou de Bruxelles (ou tout autre petit légume) dans une écumoire, avait été recueilli, bizarre pépite, « (H)ibiscouss ! ». Prononcé comme ça ! Repris comme ça dans plusieurs phrases, par le vendeur en blouse (j’invente) qui n’avait que de la poudre d’(h)ibiscouss à proposer. Mais pas de fleur, non non, du moins pas pour l’heure, car « il était en rupture »…
Voilà l’histoire.
Est-ce moquerie, de la part de mon amie et de la mienne ? Franchement, je ne crois pas. C’est plutôt la joie teintée d’hilarité d’entendre soudain un mot (pas très courant quand même, s’agissant d’(H)ibiscus)[1], autrement, sous un autre angle. Ça pourrait être n’importe quel autre signifiant. On se moque d’un accent ? On croit peut-être se moquer (et à l’occasion se moquer en groupe, histoire de se rassurer identitairement), alors qu’en fait il s’agit je pense de l’effet de surprise que l’on éprouve face à sa propre langue, qui prononcée différemment apparaît comme étrange, étrangère. Ce qu’elle est, au fond.
[1] Hésitation orthographique : Hibiscus ou Ibiscus ? Est-ce plus conforme à l’étymologie avec un h (que l’on n’entend pas de toute façon) : du grec ancien ἱβίσκος, hibískos ? Pas sûr…
*« L’un des meilleurs desserts de Paris se trouve au cœur du Marais. Chez Carbón, le fondant est croustillant à l’extérieur et fondant à l’intérieur… Coup de cœur pour la crème d’ibiscus en accompagnement. » [AD Magazine, Les meilleurs fondants au chocolat de Paris]