Martin Richet, Économiques M par Éric Houser
Depuis un moment, la question des genres d'écriture n'a plus pour moi aucun intérêt. C'est probablement un peu lié à la question du genre (masculin féminin). Lorsque je feuillette avec le pouce le livre de Martin Richet, en mode flip book, je vois défiler des textes pas très grands, avec une phrase détachée en bas, chacun surmonté d'un chiffre romain et d'une ligne continue, qui peuvent faire penser soit à des poèmes en prose, soit aux mini-chapitres d'un roman. Celui-ci aurait 60 chapitres (LX).
Il y a à la fin un long index qui a un statut à part.
La lettre M qui chapeaute le texte de la quatrième de couverture, de même forme que les autres, ne renvoie pas un chiffre (mille), mais au M du titre : M comme qui ? De manière assez limpide, il s'agit de Mallarmé ( « notre écrivain saisi à son bureau », « mots de la tribu »). Peut-être aussi, mais en mineur, M comme Martin.
Économiques, maintenant ? Cela renvoie à un ouvrage d'Aristote moins connu que les autres, Économique (en 3 livres). Dans lequel il est question d'oikonomia, gestion domestique par les époux, et d'économie politique au niveau de l'État.
La narration de Martin Richet est centrée sur les manières dont le sujet écrivant (Mallarmé /Martin) négocie avec son environnement réel et langagier. Il y a dans chacun de ces 60 textes-chapitres un extraordinaire corps à corps avec l'écriture. Plus on avance dans la lecture du livre, plus le « thème » prend corps et langue dans une vive tension syntaxique entre signifié et signifiant, sens ( « le sens trop précis rature / ta vague littérature », dixit Mallarmé) et son.
Ceux qui connaissent l'engagement de l'auteur dans la traduction, de Gertrude Stein notamment, ne seront pas surpris par l'insistance avec laquelle le rapport/non rapport sens/son travaille le texte, et par l'imbrication des deux activités (traduire, écrire).
C'est l'activité de traduction qui se poursuit dans l'écriture personnelle, celle-ci se nourrissant de celle-là.
La lecture a été pour moi enthousiasmante, pleine de surprises. C'est un travail remarquable qu'accomplit Martin Richet (un autre livre est déjà écrit), car il ne se réfère à aucune mode, posture. Si l'on croit encore un peu à la poésie, c'est à de telles œuvres qu'il faut prêter attention et qu'il faut soutenir en les lisant et partageant.
Une remarque sur l'index : tous les mots, même l'article défini le, même la lettre À, y figurent. Un tel index où l'on trouve tout, de manière plate, « littérale » et sans effet de saillance, me fait penser à un tableau quasi-monochrome, un paysage désertique, une plage de musique répétitive. Si l'on y trouve tout alors on n'y trouve rien, peut-être parce qu'il n'y a rien à chercher, un index n'ayant a priori, selon moi, aucune utilité pour un livre de cette taille et de cette consistance. L'intérêt est ailleurs. Il m'échappe. J'avancerais quand même une hypothèse : la justification de ce que je n'arrive pas à appeler autrement que fake ou joke ne pourrait-elle être que cela spatialise autrement ? Ce qui apparaît strié dans le texte se détend, se défroisse dans l'index. Maintenant, on peut ranger ce qu'on a lu dans l'armoire, en attendant la prochaine lecture.