Les trois collines, de Frédéric Valabrègue par Claude Minière
Valabrègue emploie l’imparfait comme La Fontaine (« Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés »), il écrit, page 96 : « Il y avait donc un courant de pensée défavorable venant des quatre vents et secouant l’arbre pour dépeupler ». Et, d’une page à la suivante, il répète certaines formules comme un poète en ses versets. Grand style !
Une campagne, son précédent ouvrage, paru voici deux ans, nous plongeait dans la sauvagerie de la Provence profonde et la brutalité d’une campagne électorale. Dans Les trois collines la topographie est celle de Marseille, que l’écrivain connaît par cœur.
Y sont complices documentaire et fiction :
« Tous les habitants de la Plaine connaissaient par cœur les premiers vers de l’élégie Contre les bûcherons de la Forêt de Gastine » (page 72). Poésie et sensualité :« Les Marseillais ont toujours méprisé la pompe des monuments parce qu’ils ont tous les jours sous les yeux une Méditerranée allant du bleu roi à l’outremer en passant par l’indigo. Une mer ’glaukôpis’ où s’entend l’aurore ‘rhododactulos’, le teuf-teuf de la barque ithyphallique d’un marin ‘polumétis’ « (page 19). Regard et écoute :« Puget sculpte cette douleur avec son Milon de Crotone dont le cri ne s’entend plus. La sculpture du lutteur déchu avoisine les générations de forçats affectés aux arsenaux des galères… » (page 19).
Elégance naturelle de la phrase, morsure nette de la critique, violence douce de la méditation. Toutes ces qualités font de Valabrègue le chroniqueur vif et mélancolique, révolté et pudique, d’un espace vital. Rien de ces écrivains du dix-neuvième siècle qui surplombaient les misères, il pense avec elles, ses pensées vont affectueusement avec elles. Et ainsi, après les effondrements rue d’Aubagne :« À force de parcourir les rues de la ville, nous avions parfois l’hallucination de connaître ou de reconnaître tel inconnu, devenu connaissance anonyme ou quelqu’un de fréquenté dans une autre vie. » . Le titre, « Les trois collines », sonne tel celui d’un western, et, plus justement, d’un sudern. Et il y a de ça, de cette mélancolie d’un paysage-miroir.