L’évangile de Zarathoustra (extrait) par Claude Minière
Des poètes
« Hélas ! Comme je suis fatigué de
tout ce qui est insuffisant et qui veut
à toute force être événement ! Hélas,
Comme je suis fatigué des poètes ! »
Il est rare que Zarathoustra cumule ainsi les « hélas » en signe de regret ou d’exaspération, mais en effet l’insuffisance de la poésie peut amener la fatigue. On ne devra pas négliger que « en des temps de détresse » la poésie demeure pour Nietzsche une question. Des poètes existent bien dans l’Allemagne de la fin du dix-neuvième siècle, mais qui veulent à tout force faire événement*. Evénement culturel, par quoi ils s’inscrivent dans la fatigue générale, l’épuisement, la croyance en les valeurs de la démocratie bourgeoise. Ils ne savent pas sacrifier leur moi pour écrire par delà eux-mêmes.
Le poème de Nietzsche (Ainsi parlait Zarathoustra) est celui d’une passion, une souffrance, rapportée avec joie, ironie, et fantaisie, tant le monde est riche en prodiges grands et petits, en se jouant. Poème où alternent découragement et exaltation, colère et tendresse --- mais tout cela joué, surjoué, déjoué.
Un disciple questionne Zarathoustra sur sa déclaration « les poètes mentent trop ». Pourquoi ? dit Zarathoustra. Tu demandes pourquoi ? Je ne suis pas de ceux qu’on a le droit de questionner sur leur pourquoi. Et le disciple d’insister : Mais, Zarathoustra lui aussi est un poète. Réponse : Crois-tu donc qu’en cela il ait dit la vérité ? Pourquoi le crois-tu ?
*Vouloir faire événement, ce n’était certes pas le cas de Hölderlin, mais ce le fut de Goethe et de Schiller – et peut-être d’Heinrich Heine.