La première œuvre de déconstruction par Claude Minière
« Voilà donc ce que je comprends pour l’instant »
Augustin d’Hippone
Le débat actuel sur la déconstruction n’est-il pas tristement aberrant ? Ses acteurs, en tout cas, y font preuve de beaucoup de précipitation. Le débat est trop étroit et manque de vrai fondement. Il est étroit au regard de l’histoire de la notion et de la pratique, et manque d’un vrai fondement pour les mêmes raisons. Pour les mêmes raisons peut-être, il a excité les scènes universitaires américaines et françaises. Mais le « drapeau » agité depuis les années 1960 portait sans doute caché dans ses plis une ambigüité : « déstructuralisme » ou « déstructuralisation » sont en effet imprononçables. On oubliait que l’histoire de l’architecture avait, après le brutalisme, connu une période de déconstruction ; que Mallarmé, dans un temps de crise du vers classique, avait déclaré « la destruction fut ma Béatrice », sur le chemin d’une nouvelle poésie (et non de sa destruction) ; etc.
Mais la première œuvre de déconstruction fut bel et bien, au IV° siècle de notre ère, Les Confessions d’Augustin1. Celui qui sera plus tard fait saint y déconstruisait patiemment, passionnément, pierre à pierre, tout l’édifice de la philosophie antique (grecque, latine) et « l’hérésie » manichéenne à laquelle il avait adhéré dans sa jeunesse, pour ouvrir une voie, de recherche, intime et générale, vers la lumière2.
1 Patrice Cambronne, dans le volume I des Œuvres de Saint Augustin (édition de la Pléiade), rappelle les différents sens du mot « confessio ».
2 Le Livre XIII de l’ouvrage est en tout point admirable.