Claudel, le parti-pris des choses par Claude Minière
Notre éducation laïque (et « révolutionnaire ») à la plupart d’entre nous fit manquer Claudel. Et pourtant, étudiant les publications poétiques d’aujourd’hui, on doit se rendre à l’évidence : Claudel est présent, et il a des enfants. Il y a eu chez lui un parti-pris des choses non pas muettes mais ne parlant que confusément, et en attente d’explication. Ainsi dira-t-il de Virgile :
« Il t’explique tout, Cybèle, il formule ta fertilité »
ou, dans son Art Poétique : « Le monde est une immense matière qui attend le poëte pour en dégager le sens et pour le transformer en action de grâces. » Bien sûr, « action de grâces » fera tiquer plus d’un contemporain, c’est ici le Claudel au manifeste catholique. Mais plus largement on peut entendre la formule comme traduisant le mouvement : « Le mouvement n’est pas un état passif, il est le premier sens que l’élément possède de lui-même, en n’étant pas de lui-même. »
Nomination, énumération
La production poétique est affaire de nomination. Par l’énumération et la nomination, le poëte »coopère » à l’existence des choses :
« Ainsi quand tu parles, ô poëte, dans une énumération délectable
Proférant de chaque chose le nom,
Comme un père tu l’appelles mystérieusement dans son principe,
et selon que jadis
Tu participes à la création, tu coopères à son existence ! »
(Odes)
Regarder ce qui nous regarde
« Délectable », j’en conviens, est discutable. Question de lecture, et il faut croire que « dans le principe était le Verbe ». Pour le jadis voyez Rimbaud : « Jadis, si je m’en souviens bien, ma vie était un festin. » Le délectable est dans le bouleversement des temps : « nommer une chose, c’est la répéter en court ; c’est substituer au temps qu’elle met à être celui que nous prenons à l’énoncer. » Dans La légende de Prâkriti --- glose claudélienne du texte sanskrit, récit de la Création --- la poésie sera dite « énumération triomphale ».