Père ancien, Charles Pennequin par Claude Minière
Fruit du Finnegans Joycien, du Pas moi de Samuel Beckett, des souples brusqueries de Christian Prigent ? Il existe bel et bien aujourd’hui dans la poésie française une nouvelle manière d’écrire : une sorte de coupure-suivie ou rupture-continue. Père ancien en offre un exemple affirmé.
« parce que c’est trop fort se dit arthur qu’est-ce que j’ai bien
pu foutre de ce cadavre moche arthur devait se débarrasser mais il
a rappliqué en murmurant ça cloche »
(« Et tout ça finit toujours en drame », l’un des dix-huit morceaux que recueille le volume, et qui sont issus de 23 années de publication).
Pennequin (prédestiné à la pointe, pen ?) excelle à nous placer dans le train des réminiscences et réflexions, train qui charrie changements de registres et de temporalités s’appelant les uns les autres. Le fond ? La famille souvent, la vie dure, la mort…L’angoisse aussi, dans une autre cadence cette fois, moins dans la saisie réaliste et plus dans la conduite modulée :
« Je crains
que perdre la main
qui écrit qu’est rien
le vent du cimetière la terre
qui tient entre mes doigts » (« Bine », 2003)
ou :
« Ici vide
entre deux
et les forces
à planter
l’étant d’où
y a plus rien
que la mer d’où
se rendre » (ibid.)
Mais aussi le ciel :
« ciel bleu l’air
en bas le bras
sied la braise
a plein d’âmes
ciel bleu signe
le rire dans la
rue la rumeur m’abuse
de plain-pied » (« Ciel bleu, 2019)
Donc, des sauts – ou des effondrements – de logique, qui déjouent la syntaxe programmatique, des « raccords » bizarres*. Et le corps qui s’y tient autrement, le corps qui épuise son départ, met ses voix dans la voie (monotonie plurielle), hors la tonalité de poésie classique. De plain-pied avec des cahots.
* Le cinéma et ses plans-raccord ont peut-être aujourd’hui préparé le lecteur à en accueillir la concaténation.