Elsa Eskenazy, Revivre par René Noël
Tout reste à dire
dans ma tête sans cesse / sans issue c'est sans cesse / sans issue ma tête sans cesse / je l'ai fabriquée avec ce que j'avais du silence sans issue (p. 7), par la voie des rythmes, du ressassement initial, Elsa Eskenazi prospecte les régions de l'inconnu. L'un, l'unité embrassée, l'image sentie, perçus engendrent (naissent d') une séparation. D'abord soudain disparu l'un. D'abord soudain réapparu. (Cap au pire, Beckett). Le champ du connu modifie l'espace, la totalité change elle-même de contenus et de dimensions.
sors le liquide des liens troublés / par la petite porte je sors je pars... il n'y avait pas rien dedans / quelqu'un (p. 7). Naître crée le dedans et le dehors. Le point de vue du poème n'est pas celui de qui fut, de la mère à l'écoute de son corps et de sa psyché créateurs d'altérité née du même et de ses sensations post-partum, mais du sujet en quête de ses mémoires corporelles d'amont, alors que l'un et le deux, le dedans et le dehors, ne sont pas fermés.
c'était écrit dessus, tout simplement. une cicatrice. c'était fait. grande craie grande comme ça: / [ ___________________ ] environ., soit une enquête sur la vie, le vif, le devenir d'hier, du temps passé in utero, les sources et ressources de la conscience d'amont à partir de la vie matérielle. Chaque pas en avant modifie l'espace dans toutes ses dimensions.
C'est l'histoire du caddie et de moi. ... Le caddie dit l'unité, le ventre maternel sien, L'intérieur du caddie était à moi. Fatalement. Je ne peux dire pourquoi mais c'était le cas. Une certitude. Il était à moi. (p. 11) Aussi bien que ce mot désignant l'espace du dedans, cite l'époque à laquelle le poème s'écrit, celle de la société de consommation interprétant la consumation du monde, les transformations mutuelles des éléments créateurs en mues constantes, à sa main.
Étape sur la voie du livre fait de paroles écrites, La suite qui va commencer commencera par là. Nous. (p. 11) ON MARCHE (p. 13) répété sur toute une page, placard, matérialise la première porte du livre. De combien de personnes sommes-nous faits, si tantôt l'unité succède à la partition, quand d'autres fois l'un antérieur engendre une division au cours d'une vie ? toute action, toute décision combinées au hasard n'agrandissent-elles pas le champ de l'expérience au-delà des amonts, des possibles admis jusqu'alors, jusqu'à toucher les zones de l'immémorial ? s'interroge le poème-enquête d'Elsa Eskenazi.
Dans la forêt j'échappe. (p. 19). Un monsieur et une dame devant moi et le caddie. Là. Au présent. C'est la nuit dans la forêt. (p. 21) Si naissance il y a, les mondes du dedans quitté, restent à explorer des naissances antérieures, ancestrales, à les figurer, soit l'impossible changé par la méthode, l'expérience du moi s'exerçant à percevoir l'infini dans toutes ses dimensions. La poésie d'Elsa Eskenazi, à travers le texte parlé (p. 33), n'affirme-t-elle pas que rien n'a été dit du monde ? Que tout reste à dire quand tout a été dit, depuis le fil ténu - concret et mental - toujours autre liant le moi et le monde, l'innommable moins inaccessible que question d'attention et de façon d'envisager, de dévisager les apories, les énigmes, les impasses du vif, du vivant. Ils étaient directeurs de cirque. (p. 23), l'homme et la femme, parents du moi, représentent une coupure dans l'étendue de la vie d'un être humain en formation.
Le cirque lieu idéal d'expérimentation de soi-même aussi bien qu'un autre, vers les / générations / mélangées / ceux qui n'ont / pas / de / nom / et / agonisent / oubliés / dans des enfances / massacrées par / de barbares parents / auprès de l'horreur de / la guerre et / dans la violence / des survivants / mutiques / brisés / chez tous ceux / qui / malchanceux / en vain / réclament / dignité / sépulture (p. 72-73).
Auparavant, un second placard, L'ARGENT, (p. 27) noir sur blanc répété et inscrit en gros caractères sur une page, ferme et ouvre les états généraux de ce poème-monde : L'ÉCOUTER, L'ESPACE, L'IGNORANCE, CETTE TÊTE, AU CIRQUE, RAVIS. Soit six scansions d'une création du monde écrites en caractères blancs sur fond noir, vers la naissance du TEMPS, il y avait un escalier à descendre (p. 71), le poème d'Elsa Eskenazi figurant une expérience d'igitur de notre siècle dont seuls quelques aspects sont ici proposés et indiqués.