De si près, l'ici du corps de Pierre-Yves Soucy par René Noël

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14 août
2023

De si près, l'ici du corps de Pierre-Yves Soucy par René Noël

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 De si près, l'ici du corps de Pierre-Yves Soucy

  Effleurs

 

        Non plus des connivences passives mais bien des reconnaissances uniques et actives, au point que tout soi, du corps sensible à la pensée mobilisée, affleure puis s'évade hors d'un temps enchaîné (p. 6)    ...    l'instant retranché / revient de nulle part / une solitude offerte              au chaos de l'autre (p. 58). L'électif, la distinction, la poésie très matinale, les matinaux de René Char et de Mang Ke - tout poète n'est-il pas un nautonnier qui lie l'aval et l'amont, lit, Délie ses traces dans le rien, les mots d'autrui, images vers de nouveaux équilibres et alliages, ceux trouvés en peinture depuis le cubisme et Pierre Reverdy, pour une mémoire récente de la modernité, que plus d'un plasticien, Pierre-Yves Soucy lui-même à ses desseins, observe et peint au plus près du chaos ? Une hauteur maintenue par les poètes et les peintres autrement que les abstracteurs de prose -, poète chinois que Pierre-Yves Soucy voit sur le seuil de ce livre, la nuit sur la neige / est chien au pelage noir et blanc / la lune est langue qu'il tire par moments / les étoiles sont dents qu'il découvre de même... nuit sur la neige, extrait de Le temps sans le temps de Mang Ke -, d'une façon différente que les sagesses, les conceptualistes, de Bergson, Husserl, à Lévinas..., les poètes mondifiant dès la naissance d'une façon singulière. À partir du moment où le bon sens sait que Parménide, Héraclite, Hésiode n'écrivent pas plus de poésie que Kant tout à sa Critique de la raison pure, la poésie explore, touche le visible et l'invisible de sa main.

 

        Éros et Mnémosyne, l'immédiat et l'inoublié, roses des vents, tiennent le relatif au près du sable des points cardiaux où s'articulent l'effleurement et le mot constitué à son phénix. Une forme et son surplus autonome élargissent ici leurs interactions. Poésie où le mandala à peine tracé est effacé par l'action de la peau plus rapide que le derme et son ombre. Plus vif que le terme. Nom, ce qui en a un, ce qui n'en a pas. Ce qui change. C'est tantôt l'innommable, tantôt le nom trop chargé qui renouvellent jusqu'au nouveau. Courbes de niveau de l'inouï, la peau du côté des graminées, des faiseurs à tâtons, d'alphabets, signes du mouvement avant toute autre consigne, étrangers à toute idée de grammaire gelée.

 

        Énergie-mouvement à l'écart de toute structure élémentaire fixée, de toute socialité formée, la peau d'un et la peau d'une autre dès leurs éclats d'effleurs mutuels, activent des traits, constellations physiques et mentales, une profondeur du corps où l'infini du dehors, de la nuit se surprend. Non pas surpris de s'y voir, simple reflet, mais de se réaliser aussi bien et autrement que dans les hauteurs. Mesures et démesures du fini et de l'infini que Pierre-Yves Soucy n'a de cesse d'écrire. la respiration des mots / inscrite sous la peau / puise au secret des vertèbres / le seuil de l'incendie /               

               offerte à l'étincelle des sources (p. 20).

 

       L'amnésie volontaire et naïve du surréalisme n'a pas cours ici. Pierre-Yves Soucy, cite entre autres poètes, Adonis et Lorand Gaspar, ce dernier poète et chirurgien, défricheur de mondes aux mille et une vies, au plus près du corps, de ses tangences précaires, prend langue avec l'imprévisible, ses matières premières adossées à la chair de l'immémorial, participent des états généraux d'Éros et d'Hermès. Soit la poésie dynamique, faite d'avancées constantes sur les voies des formes à venir confrontées au non-identique, elles qui réalisent que le discontinu et le continu créent jusqu'à l'instant lui-même. L'inconnu, touché devant soi, subvertit et modifie les atomes des objets constitués d'hier et autour de soi, participe de nouvelles configurations de l'espace-temps. Renouvelle autant leurs contours que leurs contenus, soit le plein exercice de l'humanité de l'homme qui sinon, faute d'intention et d'attention, s'amoindrit, dépérit.

 

        les mains saturées par leur nudité / sans issues            là /           où elles se perdent d'impatience / avec le siècle chargé de ses récidives / ...  comme pour mieux atteindre l'autre

         depuis la déclinaison de l'espace du blanc / l'indolence de la fugue retient /           l'impatience de l'ombre (p. 63), le poème porté vers un surplus, l'excès, soit l'éclat solaire du dedans, voies de l'invisible, poussier céleste à fleur de peau.

 

 

 

 

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