Giuseppe Bonaviri, La divine forêt par René Noël
Matière-mouvement
O de la marelle, O d'Orphée, la prose de Giuseppe Bonaviri, poète, prosateur, médecin, expose le monde de Mineo, Sicile, où il naît et vit jusqu'au terme de son existence à la croisée de toutes les civilisations, lorsqu'il n'y avait ni haut ni bas et que l'air ne s'était pas séparé de la surface des eaux ... tapi à l'intérieur d'une sorte de pellicule... La Sicile terre où l'homme pose des pierres, des jalons là où le porte son désir-écho des matières volcaniques. À toute époque, les ténèbres y accouchent du jour et de la nuit, rejouées à chaque naissance. Les positions des intervalles et des limites peuvent être dites par tout homme, l'humer consistant à flairer dans l'hadès et devant soi, à donner à l'invisible, au sans odeur, à l'à peine magnétisé, une force d'attraction inconnue ; puis à accorder des sensations et des noms aussi aisément qu'entrer dans l'eau sans se mouiller se fait par un saut dans l'O tracé à la craie.
Cet art de poète et de prosateur matinal, Bonaviri le respire et l'écrit avec les mots de tous les jours, d'une façon incomparable. Sans néologiser, depuis les signes de sa région saluée par les grecs qui ont la présence d'esprit de trouver leurs rythmes et leurs rêves sur place au lieu d'importer de leurs cités des prêts-à-penser propres à aveugler aussi bien les voyants que les non-voyants. Au-dessus de moi, il y avait un puits qui s'élargissait et entourait les terres, parmi des couches de matière rougeâtre qui suivaient leur propre mouvement rotatoire, en vérité assez somnolent ; tout autour, on distinguait des restes de météores, fumées, peste, brûlure aux yeux, etc.
C'est Pythagore et Empédocle croisés par Huillet et Straub au détour d'un vallon J'avais découvert qu'entre moi et le sol qui m'environnait il y avait une somme de forces égales et contraires, mais absorbé dans ma mutation, je continuais à lutter avec acharnement. (p. 39), Bonaviri écrit ici dans les premières parties de son livre, la conscience libre et tard venue chez nous, hommes, avant même que le premier humain soit né, du point de vue des plantes nées de l'éther à l'état de cellules juvéniles qui observe sur le vif les gestations en lui des quatre éléments.
L'homme de Mineo, qui écrit cette fable archaïque des métamorphoses, de beaucoup préovidienne, sait que le monde métamorphique vit seulement si sollicité et séduit par les formules qui le touchent. Il ne s'agit pas d'un monde susceptible d'être travaillé avec la dureté des concepts et des engins, mais prompt à se faire séduire si la modulation d'un son est justement celle que sa chair enchantée reconnaît écrit Giorgio Manganelli, en poète, alphabétisateur et diariste de l'impossible. Le chaos n'est-il pas la matière active de toute forme de vie ? Non pas tant un principe destructeur, une mémoire démentielle, une métempsychose débouchant sur un principe de dislocation, l'invivable, mais le vif des devenirs laissés en friche et à tout moment, à condition que l'attention porte vers lui, vecteur de généalogies en réserve, potentiellement à venir.
L'abstrait, matière à part entière du mouvement, lie les métamorphoses qui ne consistent pas à passer d'un état à un autre, de la cellule à l'herbe, puis à l'oiseau - dont les évolutions des sensations et des perceptions forment la plus grande partie du livre de Bonaviri - déterminés uniquement par leur milieu, éclipsant sans recours leurs points d'inorigines, mais modulent leurs évolutions, l'éther lui-même transformé de part en part, l'art du prosateur de Mineo consistant à décrire les sensations, les perceptions et les altérations de la matière-mouvement dans toutes les directions de la rose des vents.
Aussi bien que les ténèbres éclairent le jour et la nuit, le futur n'est effectif, n'échappe à sa parodie que si il touche et conjugue, selon des modalités inédites, chaque particule de l'espace-temps qui n'est lui-même pas donné une fois pour toutes, jamais identique à lui-même puisque sa masse, les particules et les atomes qui le composent se métamorphosent, ainsi que la physique émet l'hypothèse observable jusqu'à présent d'un accroissement de la matière cosmique et des écarts grandissants entre les objets célestes, constamment selon des rythmes que Bonaviri sait en les écrivant.
au début de la qualité de ce rare écrivain orphique, nous trouvons une modulation, peut-être une cantilène, une fluctuation de mots, de la syntaxe entre sens et son, la tentation de " parler " le monde, de le dissoudre dans l'âcre grâce d'un discours écholalique au bord du nonsense, écrit Giorgio Manganelli, écrivant quelques années plus tard bruits et voix qui pourrait former avec ce livre et d'autres surgis de la main de Giuseppe Bonaviri, un dyptique où chaque forme de vie a sa voix, son magnétisme, ses ondes radio et ses fréquences.
Le plaisir du texte émis par Bonaviri ne cède à aucun moment à la lassitude envers le devenir, laquelle s'accompagne bien souvent d'un dénigrement des actions des sociétés humaines proches, vécues par les pères et les mères de ceux qui pensent que les mémoires s'éclipsent sans recours à mesure que les générations passent. Ses mots, ses phrases libèrent en son lieu les voies d'un labyrinthe à ciel ouvert, transparent.