19 FEMMES de Samar Yazbek par Jean-Marc Baillieu

Les Parutions

10 janv.
2020

19 FEMMES de Samar Yazbek par Jean-Marc Baillieu

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De la Turquie à la Libye, il est un arc méditerranéen tellement conflictuel, tellement meurtrier, invalidant, traumatisant (des morts certes, mais aussi des survivants marqués à jamais) et ce depuis des décennies qu’avec même bonne volonté on ne saurait en tenir vraiment compte au jour le jour. Heureusement, des jalons se présentent à nous non pour circonvenir, mais a minima pour approcher, se faire une petite idée de ce à quoi sont soumis nos semblables. Et il ne faudrait pas simplifier les enjeux, ni minimiser quelque perte humaine ou de civilisation que ce soit : ici est engagée une lutte pied à pied. Des livres nous sont en ce sens donnés à lire pour saisir un tant soit peu ce qui se passe à peu d’heures d’avion de chez nous, au croisement de civilisations berceaux d’une part de notre humanité.

Aussi, n’est-il pas superflu de saluer un ouvrage dont l’auteur, syrienne exilée en France, écrivaine et journaliste, a demandé à des compatriotes de « raconter leur révolution, leur guerre » car « huit ans de guerre ont relégué les espoirs révolutionnaires dans le domaine du souvenir, désormais tragique, pour certains même torturant ou coupable… » comme l’écrit Catherine Coquio dans une lumineuse et synthétique postface. Comment des femmes « sont devenues des sujets politiques » en manifestant, en filmant, en s’impliquant dans des structures, en secourant blessés et sinistrés évidemment aussi, comment elles ont, au péril de leurs corps, de leurs vies, de leur liberté lutté « pour réclamer un changement et des droits ». La variété des témoignages met en relief la diversité des aliénations, la prise de conscience, l’action, les actions en résultant. Sans pathos excessif, c’est la vie qui parle ici face aux logiques mortifères et masculines des clans et des sectes. 

Chacune des intervenantes parle à sa façon, l’auteur ayant volontairement peu réécrit, et chaque récit donne à entendre, à écouter des « je », des  voix « de 20 à 77 ans », toutes issues de la classe moyenne, éduquées donc « en mesure de mettre des mots sur ce qu’elles ont vécu », des porte-voix aussi en quelque sorte, d’autant que Samar Yazbek a « privilégié la variété géographique dans l’objectif de constituer un panorama mémoriel aussi large que possible ». En filigrane apparaît aussi la dialectique (un tant soit peu cathartique) de la victime et du bourreau tant agissante depuis mars 2011. Nous sommes donc intéressés à cela d’une part comme citoyen du monde (même à qui n’est pas totalement novice quant à la « question d’Orient », ces témoignages ouvrent des fenêtres, des perspectives réflexives), d’autre part comme écrivain, poète parce que s’y exhibent en divers modes la prise de parole : « J’enfreignais les traditions »,  « Je crois au droit des hommes à la dignité et à la justice », « Après la bataille de Damas, je suis devenue une autre femme », et aussi les enjeux linguistiques via par exemple « la régression intégriste réduisant à néant les libertés chèrement acquises » : « Ces types n’étaient pas syriens. (…) ils parlaient l’arabe classique. »  

Nous renseignant « avec une précision inédite sur mille choses ignorées ou demi-sues, caricaturées ou déformées, sinon effacées » (C. Coquio), ce livre, au-delà de lectures individuelles et silencieuses, mériterait le relais d’une lecture à voix haute en public par des intervenant-e-s pour le coup porte-voix de leurs sœurs résistantes.    

 

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