Juste encore le bonheur de Béatrice Mauri par Jean-Marc Baillieu

Les Parutions

17 déc.
2019

Juste encore le bonheur de Béatrice Mauri par Jean-Marc Baillieu

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La concision est (hélas) peu courante de nos jours. Le passage du stylographe au clavier s’est accompagné d’une régression de la correction. Raturer devient rare. Qui plus est, disposer des ressources d’un « traitement » de texte permet de voir son écrit d’emblée comme un produit fini. Cette ivresse du clavier donnant apparence de netteté amoindrirait la volonté de reprendre, de se corriger. A défaut de réfléchir plus avant (son discours, l’acte même d’écrire), le bavardarge, le commentaire, l’oralité imprimée ont pris le dessus allant jusqu’à la rhétorique du bateleur. Aussi est-ce une salutaire bouffée d’oxygène qu’il nous soit donné à lire un poème dense et concis, un poème qui, sans tambour ni trompette, impose sa rythmique au lecteur, l’engage à des pauses qui impriment en lui une suite expressive de (mots) signifiants avec un minimum de mots-outils (souvent parasites en poésie). Un essentiel pondéré en douze pages combinant monostiches, distiques et tercets dépassant rarement le milieu de pages alignant autant de lignes blanches que de vers : ce pourrait être un dispositif à l’épate ou sans âme, mais ici ce n’est pas le fond qui manque. Car c’est une « parole » filée, intense sans être pesante ni démonstrative, des bribes descriptives et réflexives via des touches ajustées à point nommé avec une élégance discrète dans le phrasé… « Le bonheur c’est délicat », ce vers seul sur une page clôt le poème, le bel ouvrage de Béatrice Mauri, encore une pépite dénichée et publiée par Frédérique Guétat-Liviani dans sa collection « la Motesta ». On y dégustera le motif de la cerise en touches précises et adéquates, on croisera la parole de Nathalie Sarraute, d’Antonin Artaud, de Samuel Beckett (un « je » est à l’œuvre dans chaque citation), sinon des indices peut-être d’un incident, voire d’un traumatisme, ou seulement les (des) bribes de temps écoulé, fui. C’est un poème ouvert qui, au-delà de qu’il suscite par les mots, laisse libre cours à l’imagination, l’imaginaire de qui lit et est amené, peu ou prou capté, captivé, à voir, à regarder aussi, en revers de jaquette, les trois photographies (signées Béatrice Mauri), dont l’une, centrale, est floue, bougée ou s’efface : « in extremis (…) / un cadrage serré centré sur le motif qui déborde / le noir cède la place au blanc aveuglant » (p.7).

 

 

                             

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