À l’ombre, d’Olivier Apert par Christophe Stolowicki
Violemment contrastée, happant aussi fort qu’elle soulève les plus expresses réserves, une anthologie de la littérature carcérale, de Charles d’Orléans, Villon, Sade, Oscar Wilde aux braqueurs écrivains nos quasi-contemporains ou contemporains, surreprésenté un militantisme libertaire cautionnant des crimes qui heurtait déjà dans les années 70 et irrite plus encore quand l’islamisme se répand sur internet comme une traînée de fiente. Avec cela, parmi ces voleurs reconvertis, parfois braqueurs, d’authentiques écrivains et poètes, Jean Genet bien entendu, et surtout Claude Lucas (né en 1943) que je découvre.
Trait commun à beaucoup, et qui donne sa tension à l’ouvrage, la véhémence que produit l’enfermement. La liberté paradoxale de l’exclu. La souveraineté de l’écrivain face au néant uniforme comme le béton. Plutôt que le corps à cor avec la société dont on a trop d’exemples ici, le réparateur corps accord avec la langue.
« L’enfermement n’a d’autre intérêt que de pousser l’écriture dans ses derniers retranchements », écrit Claude Lucas dans Suerte (1995), cité dans sa préface par Olivier Apert.
Mais trop mélangés documents et littérature. Le journal héroïque du capitaine Dreyfus relatant l’horreur vécue est un document pour l’Histoire. Le récit par Mesrine de son évasion d’un Palais de Justice avec prise en otage du Président, supérieur à tous les polars parce que vécu, reste un polar, et malgré son éthique affichée de tuer le moins possible, en ennemi public N°1 attirant les filles comme un aimant, n’échappe pas au genre. La rhétorique pérorante d’un Serge Livoret (1939 – 2022) vu comme écrivain, éditeur, militant anarchiste, cambrioleur, fondateur […] du CAP (Comité d’action des Prisonniers) débutant son discours par « Il importe avant de poursuivre de bien comprendre que » ; celle exubérante d’une Louise Michel (1830 – 1905, écrivaine et militante anarchiste), qui il est vrai a participé à la Commune de Paris, s’en prenant aux « Vieillards sinistres et débiles / Puisqu’il vous faut tout notre sang / Versez-en les ondes fertiles / Buvez tous au rouge océan » – affaiblissent tout ce qui peut être cité des authentiques écrivains.
Passe encore pour ceux dont la brève, occasionnelle incarcération n’a pas marqué l’écriture, tel le bon Guillaume, délicieusement égal à lui-même à la Santé (« Avant d’entrer dans ma cellule / Il a fallu me mettre nu / Et quelle voix sinistre ulule / Guillaume qu’es-tu devenu ») ; tel Max Jacob, arrêté pour être déporté à Auschwitz et qu’un arrêt du cœur en préservera, dont le ton d’auto-dérision (« Personne n’a remarqué ce crapaud dans la rue ; / Jadis, personne ne me remarquait dans la rue. / Maintenant, les enfants se moquent de mon étoile jaune. / Heureux crapaud !... Tu n’as pas d’étoile jaune. ») ombre d’une pudeur sa situation tragique ; tel encore Nerval arrêté pour tapage nocturne, qui en dortoir commun à Sainte-Pélagie, s’étant délivré contre cinq sous de son tour de corvée de chambre (« On comprend avec quel plaisir je me rachetai de la charge que m’imposait l’égalité républicaine ; et je me disais, en y songeant, qu’il eût peut-être été moins pénible, en fait de corvée, de faire la chambre d’un roi que celle d’un peuple. Les gens qui ont fait la Jacquerie n’avaient peut-être pas prévu ma position. »), l’évoque avec esprit. Mais Sade !
Sade dont la réclusion a mis en branle (sic) la formidable œuvre d’imagination romanesque que l’on sait, Sade réinventant le français de son siècle, Sade dont la prescience reste soufflante – réduit ici à l’anecdotique de deux lettres envoyées de prison à sa femme.
Ce livre passionnant devient par moments une mauvaise action.