Bon pour accord de Claire Rengade par Christophe Stolowicki

Les Parutions

21 févr.
2020

Bon pour accord de Claire Rengade par Christophe Stolowicki

Bon pour accord de Claire Rengade

Au creux, au plus ocreux de soi, à ce qu’à des verstes, des millénaires on nomme le dialogue amoureux – ici très intérieur : dense et lâchée sur son avers, à charge très sexuelle en dérobade, à torsades pour être aimée, Claire Rengade fait virevolter les registres. Comme en une langue étrangère, nutritive et de longue culture, à garder en bouche un moment, on la décode « ensalivé ». Pour à mi-corps s’y accorder il ne faut pas lever son cor de chasse. 

« je pleure à la mer si tu me veux / en majuscule »

Où, quand les mots portent à séquence. Où, quand l’afflux porte à ressac. Où, quand le vers, en peau de chagrin syntaxique, parle vermillon nègre, prend la mort aux cheveux, à l’os, Eros sur scène se rencoigne au théâtral le plus élémentaire. Bon pour accord ? Le corps à corps avec la langue appose un paraphe pour deux.

« on ne sait pas où vont nos cris / tellement boueusement / tu maries / tous les animaux ensemble »

Où, quand la poésie se déprend du spectacle. Où, quand ce qui se perd fors ment ce qu’un forban plus performant convoque d’arrière-ban d’enfance à brouiller les cartes. Bon pour accord encore ? Je mets ma culotte.

« je me coi dans tes bras à cause que je me chute / je veux mourir exprès »

Provocante Claire Rengade (« quelqu’un pourrait me prendre en deuxième main / quand t’y auras goûté ») – qui ne nous laisse pas en plan de mot à maux. Disruptive, capricante Claire, en cent-vingt leçons à un jeune poète sur les ruines de Sodome. Qui prend son cours de théâtre en main d’une enseigne qui récuse l’enseignement (« elle a pas de souffle cette phrase-là / […] tu peux me penser et ne pas me dire / mais il faut me penser sinon je n’existe pas / anticipe-moi / je suis dans ta bouche avant de dire »).

Musicologue Claire, rouée rubato tout en subtiles appogiatures, géographe de l’humain dans « la langue des pays que sont les gens ». Tout en didascalies de fond de langue où penser la musique « recitativo […] sur le mode parlé de la partition » prosaïse le poème à même son chant.

« j’ai la maquette de toi en trois D dans la tête / et je tourne autour / je te paraphe au caillou près »

Connue surtout comme auteur de théâtre (et metteuse en scène, comédienne), Claire Rengade en poésie à triple tour de garde, au regard de l’enjeu se garde bien d’écarquiller son je, attentive à son prochain au débotté de son regard. Claquant porte sur porte, drapant sur soi un propos accourci qui la révèle mieux qu’à nu, à retroussis, renvoyant aux vieilles lunes l’ipsissime je de la performance d’auteur.

« je suis / peut-être un autre mot / soluble / avec ta langue qui fuit » […] je me propage / du fond des mains qui gardent mes poings fermés […] par mes branchies qui poussent tout le monde crie »

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