Cahiers Aragon N°3 par Christophe Stolowicki

Les Parutions

30 déc.
2022

Cahiers Aragon N°3 par Christophe Stolowicki

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Cahiers Aragon N°3

Ce troisième cahier consacré à Aragon porte le regard sur ses écrits érotiques, voire de pornographie provocatrice – un genre chez lui délibéré, spécifique, (encore scandaleux pour l’époque) ainsi que l’attestent les titres Le Con d’Irène (1928), Aventures de Jean-Foutre La Bite (probablement 1929), mais débordant largement son cadre en échappées, en fulgurances de poète, celles que l’on retrouve, marquées du sceau libidinal, jaillies ex abrupto dans un écrit inclassable comme Le paysan de Paris (1925) ou dans le recueil de poèmes La Grande Gaîté (1929), tous datant de sa période surréaliste. Authentique littérature de désir – si peu de désir, mais bouleversant.

Ce n’est pas chez lui un mode majeur comme la poésie ou le roman, ses vrais corps de métier qu’il affichera, l’art hermétique du troubadour désormais au service de tous, en volte-face à l’encontre du rimbaldisme et du surréalisme de sa jeunesse, comme sa main de poète dans Les yeux d’Elsa (1942). Pis, c’est un mode boiteux, marqué de l’infirmité de ses « érections incomplètes », avouées lors d’un colloque surréaliste de 1928. Un mode claudicant, hoquetant à l’instar du plus grand jazz, celui de Monk ou de Bill Evans.

Celui jailli de sa nuit : « Ne me réveillez pas nom de Dieu, salauds, ne me réveillez pas, attention je mords je vois rouge […] / Brutes je vais crier je crie brutes fils de truies enculées par les prie-Dieu avortons de caleçons sales boue de chiotes (sic) mailles sautées au bas des putains crapauds domestiques muqueuses purulentes lâchez-moi roulures de rhododendrons poils d’aisselle [… ] lâchez-moi je vous tue je vous pile je vous arrache les couilles […] / Culs fientes vomissures lopes lopes cochons pourris marrons d’Inde saumure d’urine […] vieux foutre abominables sanies enflures vessies crevées cons moisis mous merdeux renvois d’ail. / Si vous avez aimé rien qu’une fois au monde ne me réveillez pas si vous avez aimé ! » (incipit du con d’Irène, cité par Sandra Poujat, retombant en chute céleste).

Celui réparant une enfance bourgeoise difficile, de bâtard que sa grand-mère fait passer pour le frère de sa mère. Bât tard, tôt porté, que le communisme élitiste paradoxal de toute sa vie ne lèvera pas. L’énonciateur « bijoutier des matières déchues ».

« Érotisme, ce mot m’a bien souvent mené dans un champ de réflexions amères » (Le Con d’Irène). 

Littérature érotique qu’il tourne à dérision dans La Grande Gaîté, en vers de mirliton à mots crus déclinant sur tous les tons le “Familles, je vous hais” de Gide, développant à perdre haleine de souffle court  les “refrains niais, rythmes naïfs” de l’Alchimie du Verbe, la musicalité tout en brèves de Rimbaud dévoyée jusqu’en chansons, « jouant […] de la berceuse et de la comptine scatologique (“Écoute la voix de ta mère / Petit enfant chie / Comme les grands de la terre”) […] Un refrain de comptine fait de Voyageur un Il était un petit navire de la volupté stérile. […] La “lamentable quéquette” ritournelle grippée, dont la pauvreté est autodestructrice » (Adrien Cavallaro).

Littérature lâchée au revers, à l’ubac de la contrainte qui ne le lâche pas, de dissimuler son homosexualité, en premier lieu à Breton qui le domine, tout en restant sincère. Cette contrainte deviendra la marque de fabrique de sa poésie, de son métier d’écrivain, tant de poète, le Résistant des yeux d’Elsa, que de romancier (Les Voyageurs de l’impériale, 1939), en déni de ses premiers écrits de rimbaldien et de surréaliste – affrontant avec ses propres armes un siècle à main. 

On le compare à Sade, à Apollinaire dont il a préfacé les Onze mille verges. Mais le marquis a un tempérament de feu dont l’enfermement a eu raison en le rendant obèse, et le bon Guillaume, de « salops » en « salaudes » fait rebondir un verbe joueur heureux, quand Aragon, de transgression strictement « lexicale » (Sandra Poujat), surinvestit ses mots de tout ce qui a été perdu pour l’érotisme. Dans Les aventures de Jean-Foutre la Bite, le personnage est avant tout un jean-foutre, c’est à dire un moins que rien.

Sous sa couverture plus amarante que sang versé, ponctué des dessins de Virginia Tentindo d’emblématique épure, diagramme et fellation, éclatant en coda sur une suite d’encres pigmentées de Jean-Christophe Legendre, figuratives en gageure, bulles de mousseux sur filaments – lourd de son beau papier, un cahier de collection.        

 

 

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