Cartes postales de Henry Jean-Marie Levet par Christophe Stolowicki
Henry Jean-Marie Levet, 1874 – 1906. La mort a été injuste avec lui.
Admirant Rimbaud, Mallarmé, ne dédaignant pas Courteline ni Laurent Tailhade, il n’a pas la précocité tragique de Rimbaud, mais très jeune dandy poète de bonne famille provinciale dans les nuits parisiennes aspirant au Voyage qui l’accomplira, qu’il accomplira bientôt « vice-consul » aux affectations lointaines, il se met en verve. De l’esprit goût à goutte exhalé par tous les phonèmes, une gaîté de « mirliton » courant de chanson à poème comme aucun parolier ne fait plus de chansons – mais son contemporain Charles Cros dans un registre plus sévère.
Le temps est la matière que sculpte le poète, de sa prescience, de son pressentiment, de son ajouré inconscient. Levet dans ses pochades ose Rimbaud en épigraphe de vers subtils, inventifs, qui font rimer « émane » avec « barman », « wharf » avec « homewards », une neige « Recouvrant tout d’un manteau, / Dont la blancheur est tant pure / Au chaume de la masure / Qu’à l’ardoise du château » ; sa poésie distanciée aux brusques licences a le charme de pieds surnuméraires ou manquants à des alexandrins approximatifs, la politesse de points de suspension qui chez tout autre seraient lourdeur, muflerie, l’humeur capricante de rallonger de très classiques sonnets d’un vers déporté auquel se suspendent ses points récurrents – à des années lumière de Rimbaud. Cependant. Il prend dans une chanson la défense de Wilde en prison abandonné de tous. Il dresse la saynète d’un pensionnaire « de quatorze ou quinze ans, élève de seconde » demandant à son proviseur permission de sortie pour la première d’une pièce dont il est l’auteur, jouée aux Folies-Bergère, en Ubu potache bien élevé. Et déjà : « Le soleil se couche en des confitures de crimes » ; et bientôt, la tuberculose avérée, « J’aurai un fauteuil roulant “plein d’odeurs légères”/ Que poussera lentement un valet bien stylé : / Un soleil doux vernira mes heures dernières, / Cet hiver, sur la Promenade des Anglais… »
Il a pris toutes ses dispositions pour mener la vie de poète diplomate aux missions exotiques où naîtront les cinq cartes postales qui ont fait sa mince gloire. Larbaud qui l’admire ne l’égalera pas.
Où Barnabooth sera lyrique, Levet fait vibrer en proses versifiées tout en insertions pérégrines – ses nostalgies, ses regrets, pète-sec et sapide, et doux. Croquis de voyage à contrepied de Rimbaud, répondant à Rimbaud. De Démocratie le drapeau ne va plus au paysage immonde, ni notre patois n’étouffe le tambour depuis que le représente (le drapeau) « Le Consul général de France à la Plata / [qui] prit la funeste manie de l’opium ; / Il occupait alors le poste à Singapoore » qui rime avec « amour » comme « opium » avec « pauvre homme ». À présent que « Le soleil, des palmiers, coule d’un flot nombreux / Sur les épaules des phtisiques radieux », une vitesse de croisière accomplit la promesse – sonne, sa promesse sonne.