Cent ans au printemps, de Cécile Guivarch par Christophe Stolowicki

Les Parutions

30 janv.
2021

Cent ans au printemps, de Cécile Guivarch par Christophe Stolowicki

Cent ans au printemps, de Cécile Guivarch

Dédié à son grand-père, « Dédé Guivarch ». Le chagrin pèse son sang de sonnets.

« Personne n’a son regard / ni même la couleur de la mer » qui l’imprègne (« ses années de mer »). Aimante épreuve d’« Écrire ses yeux pour retrouver leur couleur / ni un bleu de ciel ni un bleu de mer // une certaine transparence / dans laquelle se perdre ».

Bribe à bribe accolées, une plaquette lourde de non-dit, mais de non-dit léger comme une plume, d’évincé diffus, d’ajouré moteur, tout le contraire du non-dit dans son acception commune. Le chagrin rétracte les années, fait remonter la toute petite fille qui « marche […] la main dans la sienne / (sans la faire glisser) ».

La simplicité de grand art de Cécile Guivarch, renforcée de livre en livre, transgressive à même la langue (« les arbres et les grands peupliers », ou « parmi les plantes / salades et choux du potager », la mémoire elliptique traitant le générique de plain-pied), ne pouvait mieux s’inscrire, se couler que dans ces sonnets contractés en peau de chagrin. De structure identique (2/2/3//astérisque//2, dont le dernier vers en italiques entre parenthèses) épurés à la seule résonance, la fin de l’envoi ne touchant d’autre cible qu’âme. L’ellipse ne décrit pas l’ombre d’une sinusoïde, blanchie à la chaux vive du souvenir – propulsif appel du pied à la mémoire aiguisée, aplanie. La maîtrise intériorisée.

L’adjonction finale dans son retrait de parenthèses rouvre à huis-clos le sonnet anti-sonnet, antiphonique par ses italiques, envers d’envoi.

D’autres agonisent sous d’affreux quinquets. Mais à ceux qui ont été braves et à qui la chance a souri, une longévité. André Guivarch (« je caresse ses médailles ») est de ceux-ci. « Sont morts milliers de grands-pères / ce n’était pas le mien ». « Si j’écris sur sa guerre / un cœur en ruines me vient // […] sur les photos Dunkerque  […] naître et dormir toujours en pull marin / la cigarette au bec ». Malgré la cigarette il a tutoyé un siècle de bonne vie.                

Pas un rejet pas un enjambement, tenus à distance par la puissance du souvenir. Aux deux tiers de la plaquette la tension lâche, réchappent quelques rimes (« nage une anguille […] / ses yeux pétillent […] //// les garçons invitent les filles »). Seul le vers à vers du poème sait rendre le plain-pied du passé et du présent.

Remonte tout le bonheur d’une vitalité d’enfance (« les canetons au creux des mains / je détale devant le dindon », « je cours dans le jardin / me prends les pieds dans les ficelles », « précipitée dans le jardin ». Mais maintenant « il ouvre et ferme les yeux si je suis près de lui / cela s’enracine très fortement » ; « il a semblé dormir / pendant trois jours trois nuits // au quatrième matin / le temps n’a jamais semblé aussi long / ses mains croisées sur sa poitrine //// je pleure en silence / (ne pas aimer les adieux) ».    

Mon grand-père ce héros, au regard si doux. Un bon deuil, enviable entre tous.

Le loup dessiné en quatrième de couverture par Sylvie Villaume (selon le principe de la collection) a toute la vivacité d’un jeune chien-loup.

 

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