Des lumières et des ombres, de Henri Alekan par Christophe Stolowicki

Les Parutions

01 nov.
2022

Des lumières et des ombres, de Henri Alekan par Christophe Stolowicki

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Des lumières et des ombres, de Henri Alekan

 

Henri Alekan, l’un des grands directeurs de la photographie, a assisté de 1929 à 1990 une palette de réalisateurs, de Jean Cocteau à Wim Wenders en passant par Alain Robbe-Grillet, Marcel Carné, Joseph Losey, Raoul Ruiz, de toutes les ressources de son art d’éclairagiste et de ses techniques, enrichies d’une immense culture picturale. Regorgeant d’illustrations mettant en regard permanent toiles célèbres ou chefs d’œuvre méconnus et plans de films, Des lumières et des ombres, aussi inspiré que pédagogique, est une œuvre testamentaire qu’on ne se lasse pas de feuilleter. Mais l’esthétique d’Henri Alekan, de préférence « esthétisante », celle du clair-obscur modèles Léonard de Vinci, Rembrandt, Georges de La Tour (qui n’exclut pas l’éclairage diffus, « multidirectionnel », « intemporel »), lui fait complètement manquer la Nouvelle Vague, surtout Godard, aux contrastes carrés, Truffaut, au regard caméra. Encore moins concevoir une caméra fixe sur un an ou davantage, qu’alimente le temps, non l’éclairage temporel. Ni à l’opposé un cinéma asiatique (Kim Ki Duk, surtout) dont chaque plan est un tableau de maître malgré une violence intrinsèque. La somme exhaustive a des failles de désuétude, des trous de spécialisation.

Quel rapport avec la poésie, direz-vous.

Aucun avec ses insipides acceptions parsemant l’ouvrage : « trop d’intelligence effarouche la poésie » ; « dans l’histoire des films d’aventure au cinéma, tels La Chevauchée fantastique, Le Train sifflera trois fois (…) il faut constater que ce sont des opérateurs choisis parmi les plus grands du cinéma classique hollywoodien (…) qui ont signé ces superbes images dans lesquelles une certaine poétisation – ce n’est pas moi qui souligne – de la lumière vient çà et là ponctuer l’action dramatique en donnant une respiration visuelle au thème ».

Encore moins celui qu’en dégage Robbe-Grillet au terme d’un courrier reproduit en entrée : « Son plus grand ennemi, c’est ce qu’il nomme le naturalisme (…) Alekan sait, lui, que le réel est toujours plus étrange, plus beau, plus irréaliste que cette image conventionnelle (…) Aussi affirme-t-il avec force sa position délibérée du côté du rêve, de la poésie, du surnaturel ». Robbe-Grillet prenant non seulement poésie mais rêve à rebrousse-palais.

Davantage la prescience, l’immersion, le génie d’un éclairage d’« espace-temps » pratiqué sur les tournages, celui parcouru des mosaïques romaines jusqu’à l’art récent ; « L’ombre et la nuit de Jean-Louis Leconte (…) Le solaire rend perceptible l’écoulement du temps. Même dans une prison, la présence de la lumière solaire est réconfortante, car elle relie l’homme à l’univers et se situe dans l’espace-temps » ; celui où l’on pénètre par la petite porte-fenêtre des détails techniques et du fléchage sur quelques  plans des lumières directionnelles ; et évidemment cette formidable mise en regard du cinéma et de la peinture.

Mais plus encore, par son antipoésie même. Effacement des ailes du désir sur le film de Wim Wenders par un trucage direct, un dont la poésie est inadmissible.

Poétisation, ou le comble de l’antipoésie, celle qu’eut aimée Guy Debord, « (s)e renfonçant sur (s)on pal pour faire défiler les paysages ».

    

 

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