Drigailles, de Daniel Pozner par Christophe Stolowicki
De l’Anjou au pays nantais, de la Louisiane au Québec, Drigailles : fatras, vétilles, fragments, encombrement d’objets. Coltrane sur son tard, courant après le free, se fait drigailles.
De Londres, New York à Barcelone ou Milan (où a pu le mener son métier d’ornithologue) à Malakoff, du bistrot d’Eustache à un café rue Montmartre en passant par L’assignat rue Guénégaud en telle ou autre année 2000 parisienne, Daniel Pozner a happé quelques instants où l’hétéroclite a son enseigne, à lire aussi vite qu’ils ont été écrits, aussi intensément que récrits dix ans après, rompus à l’impromptu qu’un jazz tient un haleine, celui que le rock a perdu – en instance d’abrogation dépareillée d’une culture.
« Les grains d’interrogation (sic !) s’accumulent comme poussière » de siècles réinventés. Le jazz s’est fait rock, dont s’exfiltrent un râle, un busard, un moineau, urubu, cincle.
Ballades où « centrifugeuses climatiseurs congélateurs » coexistent avec celle « Qu’ Anglais bruslèrent à Rouen » et l’envoi à « Princesse cigogne. / Où elles sont, ne de cest an / Et mon colibri. / Mais où sont les neiges d’antan ? »
Dans le grand écart d’ellipses en bottes de ces lieux si fréquentés cités supra, les bouts de phrases se fracassent en vers entrecoupés des reprises d’un souffle court, celui qui court la prétentaine n’importe où hors de ce monde en plein dedans. Ce que devient le style télégraphique à l’âge de l’ordinateur : un poème, dont la machine intériorisée a haché les relais. « Fenêtre. Ouvrir. Fermer. Courants d’air. / Ouvrir une fenêtre d’un clic. Mais elle est vide. » Oui, le pas est franchi.
« Erreur type 584. / L’œil toujours caméra ? » Écrivez en vers après cela. « Le vieux romancier, pour ses 80, s’était vu offrir une machine à écrire électrique dernier cri, Brother AX – 20 ( ?) à marguerite. Ne s’en était jamais servi, lui préférant sa vénérable Hermès aux touches familières. » On a la nostalgie qu’on veut. Concave semi-enterrée où le vin de phrases vieillit vite.
Ce qu’est devenue la poésie ? Une frénésie légère. Un arrachement indolore, « d’une précision scientifique jusque dans la rêverie ». Une âme à sa fenêtre d’ordinateur ronéotype Juliette en « majorettes ». Rome est haut et bas, fragile. Danse, danse, danse : Rimbaud swingue, en ronéo jazz.
Merci, Daniel Pozner. Passé un peu de stupeur en plaques, à mon écran géant je respire seul à seuil.