Fusain, de Christian Viguié (1) par Christophe Stolowicki
« L’éternité a moins de pétales / qu’une fleur. » « Étonnement du brouillard / lorsqu’il s’aperçoit / qu’il est une fleur / plus grande que la forêt. » « Mets un étang / dans chaque mot. » « Fais bien attention / de n’écraser aucun soleil. »
Un microcosme plus épandu que le chaos cosmique. Le regard aussi interne qu’une oreille, tenus à bout de bras ou de ramilles tous les soleils. Fuligineuse de brouillard, sororale de découverte, une ferveur succincte exprime en mots simples la quintessence du silence au large de toutes les antinomies. Les deux infinis de Pascal rétractés de tout discours.
« Comme si la nudité / pouvait se déshabiller / à l’infini. » « Pour le brouillard / le silence n’est pas de se taire / le silence est d’être tu / emporté par plus que soi. » « Être à la fois / la fleur et le vase / est une question de brouillard. » « Avant de passer à l’arbre / si c’était le réel / qui avait besoin de feuilles et d’écorce ? »
Mieux encore qu’un art de vivre, un art d’être – et n’être pas, par temps de brouillard plutôt que de vacarme. Une poésie de l’élémentaire, ontologie des limbes portant haut – et bas – les couleurs – ici l’absence de couleurs – de son art. Une poésie si peu militante, et qui milite de tout ce qu’elle délite, de part en part du rien. Supprimant nietzschéenne la première personne du singulier en faveur de la passivité émanant des choses, le retournement grammatical pour seule logique limbique. Brouillard, silence : au plus creux, au plus ocré, au plus incréé du soi poète. Comment, lisant – s’ils savaient lire – l’imperceptible ontologie brouillée, limpide, profonde de sa simple dérobade, de Christian Viguié, des philosophes oseraient-ils disserter encore de l’être et du néant ? À la trappe.
« L’eau / en s’écoulant / veille à l’ensoleillement de la langue. » Ensoleiller l’imagination de ceux qui bégaient (Char, Feuillets d’Hypnos).
Saisis le « vitrail d’une libellule », « La couleuvre […] une vitre / qui se brise. » « Te surprend le jour / pareil à une cascade / qui s’arrête. » Chaque métaphore porte son content d’imprégnation appelant une lecture lente, vive, tout en reprises.
Ces brèves souplement versifiées, aporétiques, de diligente dérobade savent se garder tant du haïku que de l’aphorisme : de la suffisance de l’aphorisme contemporain autant que de l’insuffisance d’affiche du haïku adopté.
Fusain est le charbon de ce bois dont est fait l’homme, qui lui permet de dessiner de l’intérieur. Celui de Cécile A. Holdaban a happé en frontispice un bouquet d’arbres, ou d’arbrisseaux, plus lumineux de jaillir de l’épais, du transparent brouillard.
L’ombre, « plus vieille marée du monde. » « Imagine une ombre / qui désobéit. » « Pourquoi ne pas transformer les poissons / en nuages de l’eau ? » « Et si j’étais le geste des choses ? », s’obombre-t-elle du peu de je de Christian Viguié.
Ou l’ombre de son nombre, l’imaginaire de tous les réels.
Christian Viguié, 61 ans, vit dans un village, a fait tous les métiers. En tête ni en coda du présent livre ne figure son impressionnante bibliographie de poète fêté (nombreux prix) depuis 1987 : pour ne pas déparer le silence.