Grandes boîtes bleues, d’Armand Dupuy par Christophe Stolowicki

Les Parutions

20 sept.
2021

Grandes boîtes bleues, d’Armand Dupuy par Christophe Stolowicki

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Grandes boîtes bleues, d’Armand Dupuy

« Toute l’obscurité de sommeils successifs versée dans le jour. »

 

Dans cette ombre converse bleue noircissant, de son crépuscule attisant toutes choses, ce n’est pas aux proportions de la femme aimée que s’attache le regard, non il s’intériorise de premier jet, une musique intérieure nourrie de chansons en épelle les contours.

 

Il faut se faire à cette obscurité d’un bleu de roche, d’un outremer d’autre temps et de derniers rayons. À cette mate unité de temps, de lieux-dits et d’action scénique : le poème.

Dans ce livre à quatre mains à leur main de peintre et de poète, les grandes boîtes bleues abolissant, régénérant des perspectives sont le fond de nuit qui baigne le regard du prédateur le plus nocturne – en Armand Dupuy le plus diurne : le poète.

Armand Dupuy ici à contretemps, contrechamp.

On se fait peu à peu à cette obscurité, le noir grisé de bleu agglutine les moments d’un visage de profil. Ce que l’ombre efface affaisse révèle son maillage, s’abstrait en lignes de fracture, appelle ses phrases pour noircir mises « bout à bout ». Celles de Pavese en ouverture (ce qui arrive une fois arrive toujours, ou le tort est de faire des pas / plus longs // que ses jambes) ajustent aux failles de son Métier de vivre (« l’odeur du lit défait / permet pourtant d’étranges // raccourcis ») de saisissants raccourcis.    

Non pas ombres chères mais chère ombre. Chair ton ombre qui me dénombre parmi mes pairs. Chéri mon nombre, indifféremment pair ou impair. La synérèse ne mâche pas ses mots tout en détails, découpes : « j’allais tête et jambes dont on fait les murs / tantôt butant front contre terre tantôt / les yeux soudés lents grelots sur la nappe à / motifs réguliers ». Tout en frondaisons et radicelles je vois violacé un visage de loup.

Une déclaration d’amour comme peu de femmes en reçoivent, fourchue en langue, intérieurement dialoguée dans la descriptive humeur des choses : « j’apostrophais – chairs conjuguées par / tous les temps déclinant canicules et / froidures », « la route si connue si foulée qu’elle / en devient langagière tapis sonore / chaussant nos pieds », « tout le cassant rompu sur tes lèvres ».

Quand « la mémoire / est une charogne déguisée fleurie / percée ravaudée sans répit », qu’« on taille, on égalise, on ponce des géométries vaines à l’intérieur de leurs noms succulents », l’effort pour voir ce qui se démaille trame « une odeur de pensée / d’humus à tourner trop les morts ».

Ces grandes boîtes bleues où se déboîte en images le souvenir, bleu de nuit, lues très lentement en m’imprégnant des linogravures (ralentir travaux, d’une seule main quand les trois d’Eluard, Breton et Char n’y suffiraient pas), sont à lisser d’un long jet, à longer sans plus attendre que s’ouvrent davantage les « petites boîtes bleues » sur les mots de la mort.  

 

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