Guy Bennett, En exergue par Jacques Barbaut

Les Parutions

21 janv.
2025

Guy Bennett, En exergue par Jacques Barbaut

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Guy Bennett, En exergue

 

 

 

 

Je constate avec une sorte de mélancolie douce-amère que tout au monde me ramène à une citation ou à un livre.

— Jorge Luis Borges.

 

C’est l’exergue principal, premier, d’En exergue — une réminiscence mallarméenne ? —, soit la page 7 de ce livre de Guy Bennett, dont la quatrième affirme qu’il « est une méditation sur l’usage et l’abus des citations dans le discours, dans la littérature, dans la vie »…

 

*

 

 

Écrire c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait.

— Marguerite Duras

J’écris pour pouvoir lire ce que je ne sais pas que j’allais écrire.

— Claude Roy

 

C’est la suite, en tête de la page 9, et c’est le début du dispositif…

 

Quarante et un textes de une page, plus ou moins, sont introduits chacun par deux citations — et que celles-ci soient placées en épigraphe ou en exergue, ou les deux, c’est une autre histoire que je ne suis pas sûr d’avoir bien démêlée…

 

(Ces paires de citations se complètent, se commentent, se renforcent, s’affrontent ou s’annulent l’une l’autre.

 

Par exemple, sur la mémoire (p. 43) :

 

La mémoire est l’avenir du passé.

 — Paul Valéry

La mémoire est l’herbe courbée où s’allongèrent les cerfs.

— Michael Robbins

 

sur l’originalité (51) :

 

L’originalité, c’est l’art de camoufler sa source.

— Franklin P. Jones

J’aime tellement l’originalité que je n’arrête pas de la copier.

— Charles Bernstein)

 

… entrecoupés par dix pages occupées exclusivement par une citation chacune — à la typo distincte et composée en grand corps — s’affichant plein pot, ces dix-là consacrées plus spécifiquement encore à la question de la citation-l’exergue-l’épigraphe :

 

La fonction de l’exergue est largement de donner à penser, sans qu’on sache quoi.— Michel Charles (20)

 

Le plus puissant effet oblique de l’épigraphe tient peut-être à sa simple présence, quelle qu’elle soit : c’est l’effet épigraphe. — Gérard Genette (36)

 

Mais aussi Guy Debord — « Je devrai faire un assez grand emploi des citations. Jamais, je crois, pour donner de l’autorité à une quelconque démonstration ; seulement pour faire sentir de quoi auront été tissés en profondeur cette aventure, et moi-même » (34) ou Voltaire, plus attendu : « L’art de la citation est l’art de ceux qui ne savent pas réfléchir par eux-mêmes » (56).

 

41 x 2 + 10 + 2 (p. 7 et 73, Borges, encore) : soit près d’une centaine de citations mises en valeur, en valeur d’enseignes ou d’oriflammes, autant de pré-textes pour Guy Bennett lui permettant d’embrayer, de nous informer sur ses méthodes, sa pratique, sa pensée, de poète américain traduisant « notamment des textes expérimentaux d’auteurs contemporains français et francophones », sans compter celles qui sont utilisées en complément, en renfort, par Bennett — défini ici et là comme « écrivain des marges » — au fil de son « propre » texte.

 

Il est vrai que je mêle assez allègrement citation, exergue et épigraphe dans le choix de ces méta-citations, alors que ces termes sont loin d’être interchangeables — le premier indique la phrase citée, le second son emplacement, le troisième sa fonction. Ou, comme Genette, lapidaire, l’a très bien résumé : « l’épigraphe est une citation placée en exergue » (Seuils).

(note 7, p. 75)

 

Après le duo M. Duras/Cl. Roy (cf. supra), la première « vraie phrase » (p. 9) — au sens où elle semble bien être signée de, revendiquée par Bennett lui-même — exhibe — par contrecoup ou en contrepartie de cette pratique du recopi(ll)age — son entière originalité, sa pleine singularité, affiche d’emblée une certaine coquetterie. En quelque six lignes, cette phrase-incipit — sondant les « différentes manières d’écrire sur les plans imaginaire et “réel” » — se clôt en effet par une ponctuation quasi ésotérique : ?)?)?)?)? — soit en refermant quatre parenthèses tout en marquant que cinq questions se sont posées en cours de route.

 

Et puisque, avec ce livre, toutes les citations sont permises, en voici une dernière, de mon cru si j’ose dire, mais cette phrase que je reproduis ci-dessous est un peu longue et sourcée — au contraire de toutes celles d’En exergue, qui elles sont brèves, proches des fusées, tendance aphorisme et condensation, et sont données sans références, ni titre d’ouvrage ni date, comme autant de météorites tombés du ciel des idées sans crier gare.

 

Ma contribution finale sera de Tanguy Viel, prélevée dans Icebergs (Éd. de Minuit, 2019, p. 28-29)

 

« Depuis tout ce temps que je me débats avec le démon de la citation, avec le surmoi de la citation, avec la compulsion de la citation, avec le dégoût, la névrose, l’amour de la citation, je ne sais pas si j’en ai trouvé le juste usage mais il m’est arrivé de penser qu’au lieu de continuer à écrire des livres, je pourrais faire œuvre de scribe, moine copiste devenu assez idiot pour ne même plus penser au salut de son âme mais vivant sa tâche de copieur dans l’absurdité mystique de chaque instant, quelque chose comme un “ en lisant en écrivant ” que j’aurais pris au pied de la lettre, copiant infiniment toutes les phrases qui me plaisent en un florilège infini, avec ce seul sentiment de les glisser comme des images dans un album que je remplirais patiemment, quotidiennement, m’occupant à le concevoir, autant peut-être que si je faisais une maquette, un puzzle, ou quelque autre artisanat qui confond si bien ses moyens et ses fins. »

 

 

 

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