La Décollation du raton laveur, Fred Léal (2) par Jacques Barbaut
En fond sonore — interruption ornithologique sporadique —, ce sont des Criiiiiii ! (le nombre des « i » varie), soit le boucan des toucans que la forêt — la Selva, une « salope » — guyanaise (française) distille.
La mission assignée à cinq légionnaires, ces cinq-là s’entendant + ou – comme larrons en foire — des engagés dans la Légion dite « étrangère » [poil au Berbère], soit Majdiak, le Polack, surnommé Jaruzelski, Anton, originaire de Minsk, surnommé James Bond, Mansoor, l’Égyptien, « aussi bavard que l’horloge parlante [xiste encore ??] », Massart, le seul Helvète du régiment, « un des mecs les plus chiants sur terre », sans oublier Farid, l’Algérien de Grande Kabylie, qui a comme sa petite idée (extravagante) en tête, Farid Fitoussi, l’Arabe qui nettoie l’infirmerie [« comme s’il s’agissait d’un bloc chirurgical de l’hôpital américain de Neuilly »] (celui que le colonel a surnommé affectueusement le « raton laveur » [vous avez ainsi l’explication de la moitié de l’énigme de ce titre improbable] ), celui qui, encore, au vocabulaire de l’exploration spatiale, à « cosmonaute » (les Russes), « astronaute » (les Ricains), « spationaute » (les autres), voudrait ajouter celui d’« arionote » —, leur mission, disais-je, à part la traque des orpailleurs illégaux : « combler quelques arpents dénués de courbes de niveau », soit « renoircir une putain de tache dans un putain de plan ».
Cette petite troupe est sous l’autorité de Loyal [ Depuis Selva ! (P.O.L, 2002), le double littéraire de Léal, comme le Monsieur du même nom qui introduit sur une piste ronde les artistes et régente tout un cirque autour de lui, c’est Loyal ], toubib, officier, Rod (diminutif [apocope] ? pour Roderick ? Rodolphe ? Rodrigue ? Rody ?...) Loyal.
Ces nationalités disons « exotiques » autorisent quelques approximations d’un accent de fantaisie : iou zé plépalé oun zoulplize (on jurerait une bulle issue d’un général Tapioca ou apparenté), ou mon leut’nant, il faut galder voz élucublazions pour votle pzychanalyzte.
Ce texte, constitué en majeure partie de conversations ou discussions polyphoniques qui font avancer une intrigue d’opérette [qui s’achèvera en eau de boudin], est ponctué — interrompu — en abondance par des heineken© (mais aussi, selon les lieux, les circonstances et les affinités, des skol©, des veuve clicquot©, des johnnie walker©, des glenfiddich©, des rhum negrita©, des wood’s old navy© [et j’en passe], en pagaille) qu’on imagine être de régulières gorgées — ou rasades — bues à la bouteille.
Avec d’inattendus inserts : t’as un / Alechinsky / lobe fendu / préservatif ?
Que vous ayez une fois ouvert l’un de ses livres au hasard, quelle que soit la page, ou que vous soyez l’un de ses lecteurs avertis, vous reconnaîtrez, sans le premier mot lu, immédiatement la « patte Léal »… pour le dire vite : une page-partition ou chorégraphiée, des variations de corps [de plein pot à nécessitant quasi une loupe], des gras, des ital, des soulignés, des capitales, quelques polices (de caractères), des manchettes, qui imagent, à la manière des illustrés de nos enfances, les sous-entendus, les variétés de ton, de rythme, de posture et de hiérarchie de ces incessants dialogues.
Orthotypo contre-expressive : je-ne-me-lie-pas-fa-ci-le-ment, qui m’est jubilatoire [poil aux génitoires].
Invraisemblables appariements entre Mallarmé [éclatement spatialiste vs envolées spatiales] et Hergé [Tintin au Congo & Objectif Lune], ou entre Tex Avery [mécanique du gag & Langue du loup] et Arno Schmidt [apartés, blagues salaces sans l’air d’y toucher / « content de ma trouvaille »].
& si les modes de la troncation vous restent encore inconnus, la Décollation du raton laveur vous fournira les exemples nécessaires à leur éclaircissement : l’aphérèse (à foison), ourquoi mentirais ? // vec vos gros Rangers // rci les filles ! ; l’apocope, m’apprête à prendre la poudre d’esc // je crois que je vais aller aux consultes // voir le suppo décoller ; voire la syncope, accouchez leut’nant ! // alors çui-là — et le passage (insensible ?) sur les couvertures de Frédéric Léal à Fred Léal ne sera pas là pour me contredire.
(En prime : si une graine de petit chimiste ou d’ingénieur en herbe vous titille, quelques arcanes des missions de tir d’Ariane 5 en 1995-1996 vous sont révélés : composition des ergols, réservoirs et carburants, décompte final et allumage, décollage, trajectoire, poussée, ouverture de la coiffe, séparation des étages, largage des satellites, booster, réacteur, propulseur…
les garçons, vous aimez quand ça pète // BOUM !
[…]
Si je te dis ce que je sais sur Vulcain, tu promets d’être romantique ?)
À l’ultime page de ce livre non paginé [pour je ne sais trop quelle raison], celle des remerciements (au CNL, à ma famille, à mes patients, au CNES…), Léal tient à citer, de façon posthume, l’un de mes confrères — & le fait est suffisamment rare pour que cette intention soit à souligner : « à Jean-Luc Mengus, infatigable correcteur des éditions P.O.L. […] Nos échanges à l’occasion de la mise en page de mes romans “ moléculaires ” — depuis les corrections dantesques de Selva ! jusqu’aux propositions apaisées du Mont Perclus — furent pour moi une source inépuisable de réflexion et de plaisir. Je pensais à lui en rédigeant ce livre — c’est dire le vide laissé par sa disparition brutale. »
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Message personnel à Nathalie Q., qui m’a devancé : accord pour ces « passages les plus drôles du livre », l’effet de running gag provoqué par les inlassables rectifications émises par Loyal pour rattraper les pataquès et autres confusions langagières commises par le lieutenant Gil.
la fin du monde ! / ou du moins / des asticots
des « haricots », mon lieutenant
ah vraiment ? Je trouvais que ça marchait bien avec les asticots...