Olivier Cadiot, Départs de feu par Jacques Barbaut
La nuit, raconte un vétéran, mon avion était peint en noir. Nous naviguions dans l’obscurité absolue.
« Tous les jours », p. 107
J’écris dans la langue la plus simple possible les choses les plus claires possibles.
« Six mois plus tard », p. 114
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Constitué de trente-huit entrées — introduites chacune par une date, du 30 mars 1544 pour la plus ancienne au 2 septembre 2024, la plus récente, mais aussi « Le plus tard possible », « Récemment » et « Dix ans auparavant », le tout présenté dans un savant mélange qui ne suit pourtant aucune linéarité chronologique — et d’un épilogue, trente-huit épisodes format court, soit aussi trente-huit départs de feu – une tabatière en argent dirigée par hasard en plein soleil ; une étincelle d’un bosquet à la lisière d’une forêt ; une expérience de chimie ratée en extérieur ; un diamant égaré dans le noir (p. 11) —, ce livre hybride ne s’autorisant que de lui-même fait genre et le crée en mixant journal — ce que tente de nous chuchoter la quatrième de couverture, six lignes terminales qui paradoxalement nous introduisent à ce déroulé déroutant — et chroniques, matières de rêves et carnet de cauchemars, Vies parallèles et Vies minuscules.
« On a rencontré au Florian, sous la neige : la secrétaire de Borges.
« Taper les manuscrits et les lettres sous la dictée du célèbre aveugle. » (77)
Sans surprise, un écrivain, sous divers avatars, y apparaît, revient, un autre, le même, épisodiquement, empruntant diverses boucles spatio-temporelles et autres « trous de ver » — Je possède un petit massicot qui me permet de couper impeccablement en quatre des feuilles pour en faire des fiches. Je fais des fiches sur tout et n’importe quoi. Des trucs grappillés çà et là pour préparer une belle page à venir. Mais ça ne marche jamais quand on revient dessus (49) ; quelques tresses s’entrelacent que vous déciderez, ou non, de dénouer.
Ces courts récits qu’on lit au même rythme que Thomas Shelton, lui, sténographiait, opposent quelques barrages — Je devrais inventer une langue spéciale pour éviter d’être compris si quelqu’un d’aventure venait à lire ces pages (38), Je vais encoder les passages scabreux dans un bas latin celtico-occitan (39) — et énigmes, mais bien plus encore ils offrent pépites, poétiques ou loufoques — quand je me promène dans ce jardin, j’entends mes parents parler à la place des arbres. […] Je vous appelle Tilleul, ça vous va ? (83) —, extrait d’une traduction de la Bible, anachronismes délicats qui interloquent ou font sourire.
« J’ai seulement une capacité à me déplacer rapidement et à m’incruster dans des scènes très différentes. » (21)
Par ailleurs ou encore recueil d’apophtegmes et autres pensées — Cette beauté est voulue par quelqu’un, c’est sûr (35), Est-ce que les plantes peuvent ressentir de la douleur ? (104) —, bribes de confession — Les arbres de mon père prennent tout le danger sur leurs épaules. / Je dois le remercier (25) —, roman familial aux racines profondes et aux branches multiples — ça nous en fait des chapitres possibles. On a tout bon pour la saga de mille pages (78) —, auto-analyse et métadiscours — C’est quand même un méli-mélo cette accumulation de documents (32) —, ce composé hétérogène célèbre en l’illustrant l’art splendide du kintsugi, une méthode japonaise réputée de réparation des porcelaines et des céramiques brisées, valorisant cassures et ruptures...
« On reconstruit un vase en célébrant la brisure. On les recolle – on fait des lézardes couleur or. […] Je vais faire pareil en recollant des scènes du présent avec des scènes du passé. » (41-42).