Insomnia de Stéphane Chaumet et Matthieu Séry par Christophe Stolowicki
La peinture de Matthieu Séry, glaiseuse, crêtée, réinvente la couleur comme l’onirique matière des matières, comme la gageure renouvelée de peindre sinon le rêve, le fond du rêve ainsi qu’un fond de l’œil.
Dans un coin du premier tableau s’est hérissée la sphère d’un espace à cinquante dimensions tel un deus ex machina. S’en écoulent de réglisse, de menthe verte, les coins, les cônes d’un délicieux supplice en nébuleuse au tableau suivant convertis, tandis qu’en bouche d’ombre violette suspendue au parachute de quelques fils d’aragne la sphère multidimensionnelle s’est rétractée, incarnée. D’épisode en tableau en séquence muets se déroule, éboule, déboule, trahit un film qui à coups de dés, non de désuétude mais amplifiant le dé, le démultipliant, celui de déhiscence, de dévotion – débauche les formes. Aurorales plaquées tungstène. Sororales de vermeil. L’abstrait n’est plus qu’un mot abstrait et le figuratif fait pauvre figure devant sur fond noir – le noir de blancs, le noir de moire imperceptiblement quadrillé – cette révélation pascalienne de la couleur.
Ou encore. On reconnaît une nature morte, un chien en laisse. Poudrée à cru une étoile de mer amputée d’ailerons. Des chairs tronçonnées à la hache dont l’évanescence lâche. Scalpé en gueule d’ombre un rictus, un orgasme peut-être. Quand se décante notre saisissement, une obscénité lumineuse : d’huître, de fer à cheval, de poumon marin. Une vulve en coupe à la craie, à la criée. Élémentaire, brûlée de blancheur, l’ob-scénité abolit le relief.
En regard, de Stéphane Chaumet, à « viole qui peut la vie », une pornographie translucide, ludique, quintessenciée : « c’est dans le bourbier du cul que l’âme ramone […] à boucher les yeux à scier les mots où veille l’âme du ramoneur » ; dialogue avec l’aimée « blanche au cœur de lait [affirmant que] tu me remontes dans le cul la certitude de ta rectitude [dans] un jeu où je suis l’aimant les cuisses qui dérèglent dans le sang du jour » ; en proférations qui rappellent Entre chair et loup de Paul Sanda (2001), mais lestées d’un recul, d’un parti pris des mots, d’un humour transsubstantiel.
Écrite blanc sur noir, ce fond noir que Matthieu Séry saupoudre de ses pollens, une plaquette de collection.