L'Empire familier de François Rioux par Christophe Stolowicki
Langue d’exil, langue de fond. Des poètes québécois dont l’accent à hacher à la feuille ne délivre pourtant pas un mot qui ne soit de pur français, étouffent, font résonner un percheron ou bas-normand de haute lisse bosselé dont leurs ancêtres de Tourouvre ou de Mortagne leur ont de rêve en rêve passé d’empreinte le témoin. Plus franc jeu, François Rioux. Par plages sa langue se décreuse, se métisse, s’authentifie de bribes régionales ou locales, en « poèmes périmés » (Soleils suspendus, 2010), avec une gouaille très parigote à ceci près qu’elle porte plusieurs siècles en son giron et que l’américain l’assiège pis qu’au charnier hexagonal ; qu’en d’insolites alliages (« une fille full sentimentale » et « pourri parti » [pourri signifie beaucoup en percheron] ) se catapultent, se compressent les âges, le temps linguistique en peau de chagrin miné, le poète porteur dérisoire tragique. « Il y a des squelettes carpes métacarpes tarses métatarses / […] des iris de l’eau / […] des plumes bâillent dans la fraîcheur après la pluie / et dans le coin la mort rit comme une conne » (Poissons volants, 2014). Du banc de touche le barde botte dans ses propres buts.
L’empire familier (2017) racle le blanc des paupières, le fond de l’œil. Des appels de notes, bémols plutôt que dièses, déportent au bas de pages où le poème pousse, épouse la chansonnette, un violoneux vernaculaire à la manivelle de la boîte à rengaines showbiz, Patricia Kaas, Charles Aznavour ; en joyeuse danse macabre d’un conservatoire de la langue, « ton baptistère au presbytère », « ai-je encore du pollen dans le cœur » ; « je revois la barouette jaune pleine d’herbe déjà moins verte », la bérrouette disaient de paysans ancêtres en faisant rouler aristocratiquement les hères sur leur erre. Un prosaïsme s’exaspère, existentiel en « ciel fossile », de finitude tout en accrocs, inventif en creux de temps pris à la gorge lente, en vers longs comme un jour sans pain ni beurre ni douleur – une poésie campe en résistance molle tenace comme godasse remontée du fond de langue avec des poissons morts.