la hure-langue, de Roland Cornthwaite par Christophe Stolowicki

Les Parutions

06 déc.
2021

la hure-langue, de Roland Cornthwaite par Christophe Stolowicki

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la hure-langue, de Roland Cornthwaite

 

En un temps où la langue française recule sur tous les fronts ou presque, Roland Cornthwaite, l’heureux homme, se plaint de son patronyme anglais. Il est vrai qu’il ne se prénomme pas Bill ou Jack mais Roland lourd d’Histoire, et que Cornthwaite à son articulation fait siffler le th, à l’encontre du chuintement franchouillard. Dont s’élève ce brillant, puits de culture sous ses dehors déjetés, premier livre tardif, d’un poète de l’entre-deux langues né en 1954 à Annecy de père britannique et de mère française – sous la couverture flammée noire d’Isabelle Sauvage, dans sa collection d’un présent (im)parfait à saisir aux cheveux.

Son entre-deux résonne encore des mille entrelacs d’une longue guerre fondatrice et d’une plus longue entente cordiale, ce cordial, ce tonique qu’on lui envie. Ce quand des deux idiomes croisés décroisés les croisillons prétendent dessiner un couinement, des grognements, un grouinement de rhapsode des limbes.  

« scrofa  // dit mon sale / caractère ma singularité d’où vient / sanglier mon sang lié // c’est la sangle qui se lâche […] m’appelle scr-f / scarification griffe / rugueux de gorge-grogne […] groin à fouille / truffe ou vers / omni vers qui dévore la page // mâle femelle / verrat laie marcassin porc cochon goret » de langue scrofuleuse.

De scrofa, truie en latin, dérivent éclatent aux ganglions du cou les bubons d’écrouelles, ce mal du roi ou king’s evil dont vous délivrait l’attouchement d’Henry IV ou d’un prince anglais, les deux royaumes réconciliés ; hure la tête coupée d’un sanglier, à sangs liés, accents liés.

Certes, dans l’entre-deux l’on bas fouille, entre les « mots du père / interdits / mots d’la mère / dans l’mépris » de l’autre langue on tarde à tracer sa voix. Mais le je en vaut le chant d’elle à lui.

De ce long poème entendez-vous l’anglais, l’accent absent, le fond d’accent, l’accent écrit, l’écrit du cri ?

« menthe-ire parfum de mère / after-height chairs crues / et dessous accroche-cœurs / seins et fesses / cou et mains / tavelures et pommes d’hiver // […] preuves à l’à-puits / soit sombrer / fond de pot // aux roses  // mais vers où aller / mais où dire commencer / et comment sortir / de cette ire tirelire l’ire lyre  // et besoin vomiss’hure et sort’ire / et peur de ces mots de ces pages / où col’erre d’ire / col’erre col’erre / hère errance erreur / cherche le contresens le hiatus / distingue tangue / de la mère à l’amante […] // frustre sanglier / de la mate hier / mots hululent / pas d’huis-le / mâle her mother / as grippe mal à dit »

Ses « after-height » des chocs aux lacs (ceux de lacer, de délasser) après-hauteur, à étiage d’atout venant. Et si peu fruste que « frustre » y supplée.

Nous traduisons, nous abrasons à tour de brasse.

Et soudain j’entends, je comprends, l’évidence me saute aux courtes gourdes esgourdes. Roland Cornthwaite, tout en montagnes russes d’accents toniques, ne parle pas le français de Malherbe ni de Racine, non plus que celui de Baudelaire, mais anglais en français. Anglais, pas américain. Franglais moins encore. Un bel anglais qui shake expire sur sa plèvre à vif.

En réparation de tant de colère, en coda de sa page de remerciements il fait figurer père et mère. En reconnaissance du hasard heureux de sa nativité. Assumant consomptif. 

 

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