Les dimanches de Jean Dézert de Jean de La Ville de Mirmont par Christophe Stolowicki
Jean de la Ville de Mirmont, 1886 – 1914. Jean Dézert, publié en 1914.
Dépression, dépressif ont depuis longtemps perdu leur sens premier, intact dans ce petit roman carré : dépressif ou happé par le vide aspirant, le quotidien, l’anonyme, le bien élevé, celui du dimanche en ville au temps où n’existaient pas les week-ends ; d’un temps ici suranné où les foules seraient pourtant les morts de la Grande Guerre ; où les fonctionnaires étaient encore les ronds-de-cuir. Roman de poète qui a publié quelques vers, marqués par Baudelaire ; de poète comme on l’était en ce début de siècle avant de devenir romancier ; grand petit roman : de romanesque désert, étale, minimal, théorique.
Deux Bordelais à Paris, de même milieu sinon religion, égale ambition littéraire. Ne pas lire, ou distraitement, la préface enthousiaste de François Mauriac. Une postface eût été de moindre gâchis.
« Ses yeux ne quittent pas la terre, ses regards ne s’élèvent pas au-dessus de ce monde, où, si certains sont acteurs et d’autres spectateurs, lui n’est que figurant. » Ou, en tableau clinique préventif écrit au même âge, le pendant polaire d’un maniaque Monsieur Teste. « Jean Dézert ouvre l’agenda, doré sur tranche, dont il a fait son livre de raison. À la page : 10 octobre, Saint-Paulin, il note : Néant. Puis il fume une cigarette, n’ayant rien de mieux à faire avant de s’endormir. » Précis de non-être, évacuant le non-être. Au bureau, ayant accompli toutes ses besognes, l’employé compose des vers. Notre plaisir de lecture vient peut-être de la consciencieuse réduction (au sens jivaro) de l’autobiographie en autofiction.
Vie alentie, maximes de Confucius comme pense-bête, cependant qu’« une vieille femme vendait des fleurs, comme les fous vendent la sagesse ». Un non-art de « flâner avec méthode », en « suiv[ant] les conseils prodigués sur les prospectus qu’on lui distribue ».
Du poète le romancier a gardé une mise en abyme de tous les instants, un contrôle explicite ou ténu des fils de marionnette, le même harnachement du récit que du personnage : l’insignifiance ordinaire à jalons. Le lâcher des rênes y gagne, en résonance à facettes, « une flore de pensées métalliques ».
Jean Dézert s’enhardit, aborde une jeune fille au Jardin des Plantes « devant la fosse des ours blancs ». Mais il « ne possède pas le moins du monde l’art d’émailler sa conversation de tous ces riens charmants qui plaisent tant aux femmes ». Une partie de campagne manquée parce qu’il s’est mis à pleuvoir rapproche les amoureux à l’encontre de toute vraisemblance. Chastes fiançailles que rompt l’enfant gâtée par le même caprice d’auteur.
Le petit volume donne à la suite les vers commis, quelques autres proses de moindre tonneau, la plupart de publication posthume. Mobilisé, Jean de la Ville de Mirmont meurt au Chemin des Dames.