Pas de deux de Madeleine Santschi par Christophe Stolowicki
« Lui dire que la mort n’est peut-être qu’un oignon dont on ôte successivement pelure après pelure pour découvrir qu’il n’y a pas de noyau. Qu’à creuser ainsi on ne découvre qu’une chose, qui est le rien. Ce qui n’est pas rien. » Adaptant le passage célèbre du Peer Gynt d’Ibsen, exsudé un plein de connaissance, l’approche la plus sensible peut-être pour apprivoiser, dénouer, lisser le néant ; l'art de vivre à son hypogée d'art de mourir. De Madeleine Santschi (1916 – 2010), née en Suisse romande, plurilingue creusant son sillon plutôt que polyglotte virtuose, nourrie de Dante et de Shakespeare, le pas de deux de traductrice allée au cœur de langues ; de lectrice entre étoiles filantes et ses comètes fixes au firmament de citations, abondantes, récurrentes, de frelon prédateur plutôt que d’abeille, de modestie torrentielle naviguant à vue dans son panthéon ; de danseuse ès lettres, chorégraphe pleine page d’un bégaiement existentiel ; fragile (« Haut./Bas./Haut. ») ; affirmative en rafales d’un grand midi minuit (« Si./Si./Si ») ; l’aimance d’amour défunt (« Il était là./Elle était là ») comme la laitance d’un halètement (« Lui./Lui./Lui. ») ; alternant interjections verticales, citations justifiées à droite et proses qui chroniquement s’étrécissent en largeur en ô de chagrin avant de recouvrer leur expansion plein souffle de poumon géant ; de compositrice, avec le secours posthume de son ami Jacques-Michel Pittier, d’une miscellanée tout en didascalies culminant en abyme (« Retrouver le concret de l’abstrait. Ne pas décrire. Faire surgir. ») – le pas de deux d’une artiste experte en cosmologie viscérale, rescapée de trous noirs arpentant l’espace-temps enfin vécu. La science est trop lente ? Non, c’est la poésie la vie (un titre de Marc Cholodenko) qui demande un siècle.