Revue L'Intranquille, n° 15 par Christophe Stolowicki
Outre un dossier Singapour établi par Pierre Vinclair qui à présent y vit – en surplomb deux poètes inédits sinon en revues parce que leur écriture à même, le musical du vécu, coupe court aux innovations d’intention contemporaine. Accotés ici comme au crépuscule du jazz le hard bop et le cool, Thelonious Monk et Gerry Mulligan.
De Thomas Lamouroux un poème tournant fixé à son N° 23 dérade d’un ficus ficus de parade ternaire tout en branches à un Orteille tout en noms, ficus qui « ne fait pas de figues […] fait 1 2 3 soleil », Orteille tout en choses qui ne prend pas parti, Orteille « spéléonaute » qui circonvule et dégouline, ferme et martèle des parenthèses jamais ouvertes, Elvin Jones orphelin de Coltrane.
Julia Lepère, de sa ponctuation émotionnelle, commotionnelle, de ses virgules à contretemps léger en fin de verset recharge Schubert d’un beat intempestif, d’une grimace sourde ; de ses brèves didascalies (« Piano, commence » ; « Violoncelle, reprends et lentement ») fait respirer ses prosaïques strophes, saillir que « certains [l]’ont traversée comme un fantôme […] violemment le besoin de mains se fait, sentir ».
Singapour. De ceux traduits ici de l’anglais par Pierre Vinclair, tous écrivant en vers libres, sans effets visuels sinon modestement Christine Chia, ni sonores que rende la traduction, pour moi ressortent – Christine Chia, née en 1979, dans The Law of Second Marriage, d’autofiction probable relatant, à propos d’un suicide manqué, qu’« à l’hôpital / le même que celui où père mourut / mais c’était un rêve [ainsi qu’à tout occidental] / sa mère l’a giflée. / “ T’aurais pas pu t’y prendre mieux ? ”» ; Cyril Wong, né en 1977, donnant un Hôtel aux « soft drinks qui plastronnent », dont « l’air conditionné soupire aussi discrètement / que possible » et qui l’emporte en intimité impersonnelle sur ceux labourés par Valéry Larbaud ; Boey Kim Cheng, né en 1965, « improvis[ant] / un solo à partir des notes de celui qui n’est plus dans le trio, / comme Evans voûté sur le reflet noir de son piano, / jouant dans le sillage du départ de La Faro, réglé sur les accords / de la basse, la musique silencieuse que laisse le disparu » (d’un accident de voiture) sans qu’aucun swing ne transparaisse entre les vers.
Au final de ce numéro très jazzy Jean-Pierre Bobillot, de ses notes critiques où un « janis et daguerre » dézingue le passé du passé, illustre la chute libre dans le free.
En couverture un autoportrait de Cendres Lavy criblé d’impacts, le visage masqué, étoilé d’éclats cardinaux.