Revue Sarrazine, n° 18 : Suis-moi par Christophe Stolowicki

Les Parutions

07 déc.
2018

Revue Sarrazine, n° 18 : Suis-moi par Christophe Stolowicki

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Suis-moi, thème éponyme de ce numéro, ouvre sur un provocant poème tout en ricochets d’Edith Azam, sur « le vide que je suis / ouvre ma voix / déchire mes : / infinitifs / […]  que je m’écarquille ! / […] et bien mieux que me suivre / tu me dépasseras ! » – en jaillit, pour la femme d’à présent, « Suis-moi : / suis-moi que je sois seule. » 

 

Flottent d’injonctives « voix[les]odeurs légales / que se lance du vouloir la volonté sans main » de Pascale Auger ; se suspendent quelques scènes d’intérieur, d’amour, de famille ou de ménage, de famille derechef, que dans un jeu de polices feuillette, hérisse Silvia Marzocchi tandis qu’ « à reculons / se démaille/ sa peau de chagrin » ; se profile en deux ombres, d’un couple mère-fille croquées en regard d’un seul coup de crayon, « l’alliance des viscères et du ciel » selon Chantal Chawaf.

 

« À partir du Cycle d’Assise de Giotto », en architecture d’Assise courent les reproductions en noir et poussière de peintures sur lin de Philippe Guesdon constellées de poudre de métal, filigranes de fresques d’or. « À part ça l’espace / Espèce à part » est  suggéré se déployer à la semblance d’un palindrome : « ni plat ni profond […]une grande énigme, un lieu improbable que l’on regarde comme un lieu vraisemblable » fait de « Courbes contradictoires accumulées / Communes et complexes / Combien d’arcs associés / Combien d’accents circonflexés » ; « Bataille de points de fuite » dont « L’angle mort aiguise l’équerre », « Parcelles de temps traitées tout entières / […]suspendue l’attention première / Tel un garant d’allégorie ». Un peintre poète taille des croupières aux astrophysiciens, aux cosmologues.

 

Deux interviews aux confins de la francophonie, de la mémoire – de simplicité explicite, présence et vigilance, suivi habile tenace, par Paul de Brancion. L’une de Joséphine Bacon, poète innue du Québec, les Innus différents des Inuits ; nomades encore récemment (les chasseurs seuls descendant la rivière jusqu’à la côte, les enfants restant désormais en pensionnat) ; la prise de parole le soir, le conteur tenant « le bâton de parole » ; poète en innu (mot récent) se dit Kashekau-Aimuna, « mots de fierté ». L’autre glaçante, de Souytin Naud rencontrée à une lecture de poésie, fille de riches négociants  cambodgiens en pierres précieuses, enfermée avec les siens en 1975 à l’âge de huit ans dans un camp dirigé par les Khmers rouges, puis séparée d’eux dans un camp pour enfants ; elle travaillait « du chant du coq à tard avant dans la nuit » ; « quand vous finissiez votre assiette, vous aviez toujours faim » ; dénonciations obligatoires, les plus faibles achevés, les dénoncés exécutés ; après quatre ans d’enfer, réfugiée (politique) à Paris avec sa famille.

 

En deux contrepoints séparés.

 

Un antipsychiatrique roman-photo tout en avatars et scansion de visages, L’homme aux schizomètres, de Benoit Vidal. De Laure Gauthier la main courante, la voix liquide, l’effluve insinué d’Héloïse à son « in-/Firme AMANT », « entre amour et désir » une pornologie « arpente des notes cristallines ». De Bruno Normand la phrase cisaillée poème « sonne comme de la chair qui parle », croisant des anges en quasi acronyme. De Marinella (pseudonyme pour se monter l’anima) l’interrogation brute de coffrage « pourquoi ne dirions-nous pas maintenant, place au minable ». Réflexions de Laurent Grison sur Le labyrinthe de Borges, pistant à plusieurs registres la voyance de la cécité. De palette longue, liberté neuve, éclectisme soutenu, une revue de grande largesse.  

 

 

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