second jardin (drugi vrt), de Lou Raoul par Christophe Stolowicki
Jardin second, celui d’une langue première, mais concrètement aussi le potager croate où l’énonciatrice revient tous les ans planter choux et carottes. Jardin second (secundus en latin), baigné des effluves d’un vent favorable ? On reste longtemps en suspens.
Sans un mot plus haut que l’autre, ce qui sourd s’amasse au loin, naguère de l’autre côté du rideau de fer, dans l’autre langue, la prénatale, celle que l’auteure (née en 1964 en Bretagne) parle si peu. Les vers seuls passent le rideau.
« les maisons sont habitées en rez-de-chaussée et les étages / restent en chantier / ricochent ces mots de Mère / à son retour de Yougoslavie et sur l’automne de 1989 / la chambre longtemps intouchée ne l’est plus / mais les murs sont toujours froids / les livres sont des lumières où my sister se déplace »
Aux rudiments du croate le truchement de l’anglais élémentaire.
Mais une autofiction prend le relais, une Beris se substitue à « my sister » – dans l’usuel, le neutre, plat et lancinant, à plein chiendent. Liste exhaustive bilingue de légumes. Toute présomption de lyrisme éradiquée au sécateur. Mais « se gardera graines de mots / pour les mettre au moment voulu au moment à dire en terre / et les laisser croître si ce n’est croire encore ».
La poésie de Lou Raoul est sèche comme un coup de trique à traque d’un passé récent dévasté. Tout en consonnes ramassées (vrt jardin, mrkva carotte, pastrnjak panais) après qu’elle en eut planté les voyelles. Triphtongues et tétraphtongues la griffent de leurs ronces, la hérissent d’épines.
« je fais des coupes des clairières / j’élague entre les années / je passe du tout à la broyeuse »
Et de cette plaquette le poème à multiples strates devient roman, mais de ceux dont les personnages sont des intonations, les péripéties des mouvements de langue, de l’âme en lamelles qui se (re)constitue. Fruit du patient, de l’appliqué travail rétractant tout élan, une péroraison affirmative du soi poète (« je suis Beris Timber / aux vertes enjambées / je démêle les branches / et tous les cheveux de ma tête rasée (…) je suis Beris Timber / aussi reine que cette fougère aigle (…) je suis Beris Timber / et dans la nuit du dimanche au lundi / je me recompose un visage / c’est on indistinct et multiple / n’y voit que du feu »).
Les ressources d’incise du poème tenant lieu de bilingue moteur.