Simple journée d'été de Frédéric Berthet par Christophe Stolowicki
Chargées à blanc, à chevrotines, à mitraille, de railleries et d’éraflures ; écrites à chair nue, celle des mots que commande la vie à vie de passage, de halage – rééditées ici quelques nouvelles de Frédéric Berthet (1954 – 2003) qui quoiqu’il n’ait jamais publié de poème, pas même en prose, s’avère plus poète que bien des cuistres contemporains affichant leur métier. Ou, d’humour écartelé, l’odieux et charmant traité d’égotisme en danger de mort, oulipo sans jeux de mots et villégiature perpétuelle d’un « combattant biographique » condamné aux beaux quartiers, coupes de champagne et voitures décapotables.
Pochades de boutonnière fleurie, foucades de passes d’armes où le lyrisme n’a pas sa place – « un bruit de couvert et de verres » a une vie transitive avant de « finalement retourn[er]zigzaguant vers les tables », un subjonctif futur profile sa portée métaphysique dans un dialogue entre amants, un style télégraphique tente quelques enjambements, une ferveur légère soulève la syntaxe. Un duvet sert de plume et encre son nuage dans la langue de l’éternelle jeunesse passée par de bonnes études de lettres et de néant.
De délectation morose, mort ose ce qu’une vie durant tu esquivas. Mots roses d’un bref été (1954 – 2003).
Par quelles manœuvres improbables « serre[r]dans ses bras la plus jolie fille du monde », voire « de la galaxie ». Séduction d’une amie alitée en se mouchant dans ses mouchoirs, en avalant son orangeade dans tous les verres qui traînent. Dialogues dont il faut remonter d’assez loin le fil pour comprendre qui est qui et jubiler à bon escient. Ou le charme indiscret de la bourgeoisie, jusqu’au poli désespoir. La vie fin de siècle qu’un millénaire absout. Dans son filet de rétiaire.
« Mourir de ce qu’on n’a pas vécu. » « Hommes et femmes : comme un gant qui ne se retournerait pas. » « Comme si le langage était devenu le champ de mines où je suis assigné à résidence. » « Notes en vue d’une autre vie – dont celle-ci ne serait que le brouillon. » En bord de mer d’azur, dans des propriétés avec piscine ou court de tennis, à défaut de la suprême désinvolture de Wilde l’auteur pratique au moins les sports bien élevés.
Dans mon éloge je néglige outrageusement que Frédéric Berthet (1954 – 2003) dont celui-ci est le premier livre paru, soit mort prématurément des suites de son alcoolisme.
En couverture un pas de deux tennistique de Gérard Dubois.