transparaître de Séverine Daucourt (2) par Christophe Stolowicki
De la maison d’en face je remercie Séverine (pourquoi Séverine, on a dû lui poser cent fois la question, elle dit que non) d’aussi simplement transparaître, j’imagine combien de tours et retours de la langue (oui, pourquoi Séverine ? comme Septime Sévère, un Sèvres, un tanagra, mon impoli questionnement effleure du point d’interrogation aboli le poli vécu, dépoli, le suivi de survie de ses vers) il lui a fallu d’un travail – naguère aussi celui du corps, de danseuse vêtue de grâce – pour abonder dans le nu des mots.
Pourquoi des vers ? Envers et contre tout seule la poésie à son avers met en avant pour mieux le taire le tu à moi, le tu qui tue et qui tutoie, de « l’âme blanche et poreuse » – les abysses. Sa prose tournée à vers, monnaie d’aloi plutôt verticale, ne l’est pas d’affectation, de jeu, de littérature saisonnière comme la mode des modistes, mais de retenue, de pudeur tombant les masques, un à un, égrenant ce qui ne se meurt.
Ce qui se donne à capter là est une pure poésie du vivant, un excentré de vécu, à sa juste mesure de prosaïsme, de pléonasme comme chiasme enchâssé, de tautologie fondatrice (« ma mère / sage-femme / fut en exercice / jusqu’à la naissance de mon frère aîné / mon père / qui était un homme / était / gynécologue ») ; de féminité qui expose, qui implose, d’une « collée derrière ma vitrine / invisible / exhibée / sans malice / déjà victime / déjà consentante » qui ne se paye pas d’émaux ; de crudité (« les poils / se raser s’épiler / […] ça repousse / faut pas être repoussante / achat de crèmes et d’onguents / la peau du cul / sans hésiter / les robes roses coûtent bonbon / le salaire d’une baby-sitter ») ; de lisibilité (« il eut envie de moi / je l’ai désiré / me sentant désirable / je suis ressortie marcher dans la rue / je vis les passants saisis par mon aura car / rien à faire / le corps est plus lisible qu’une page ») ; de gît née colle ô gît (« sur la table / une opérée / par un boucher allant et venant jusqu’à jouir ») ; de pouvoir (« d’autres […] /m’ont aimée entière et dans la durée / même si / je les ai durement mis en pièces » ; d’affinité (« pas ma faute / je corresponds / aux poupées bella / aux filles d’hamilton / à manon des sources / […] cible pleine de mille […] coincée dans ma demande / que je crois être offrande / sauf que chacun se sert / […] personne ne voit ma personne / personne personne ») ; de distance prise (« il est un âge où l’on peut se détruire en quelques minutes / s’éloigner du rivage et mettre une vie à recoudre le ravage ») ; de brise sur déprise (« j’ai commencé à m’aimer quand je n’étais plus aimable / quand les premières traces d’irrévocable sont apparues »).
Quand « tout perdre » rime avec « renaître de mes cendres », à rime dédoublée, la rime des rimes, d’entaille dentale dans l’irrécusablement vécu, l’impolitiquement correct, d’agrégative électre.
Bien malgré elle, porte-drapeau féministe la voilà qui la dévoie aux lecteurs superficiels, aux hommes faciles, aux mégères. De trois en un, de naguère en demain, la guerre des sexes n’aura pas lieu.