Transport commun de Rim Battal par Christophe Stolowicki

Les Parutions

22 juil.
2019

Transport commun de Rim Battal par Christophe Stolowicki

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Ce que je subodore ici, faute de parler le darija, l’arabe marocain, est un accent hautement lettré qu’anime, qu’électrise une audace à dire, à vivre, insolite sous nos climats, à bousculer, bouffir, subtiliser la langue (la nôtre), l’éthériser au plus mallarméen quitte à l’empâter aussitôt, la grasseyer – de quoi retourner le saint dans sa tombe.

 

L’écorchure est plurielle, la redondance amère, la raillerie festive et l’accent, ah laque sang de tout le déboulé, bravement, amalgame « Je suis le sexe de toutes les mères en mal de sexe […] // Je suis le fils à la chatte, le fils de toutes les vierges et de toutes les putains / Je suis fils et vierge, fils et putain / Le sexe vrai, armure et maison des mères des mères des mères » et « Mon père. Le jour où devant choisir entre ma liberté et le Paradis a répondu : son bonheur d’abord. // C’est cela l’amour. C’est cela l’amour que je porte en collier siège ambulant, pérenne », arpège plaque les gammes de la franchise viscérale, rude et rouée.

 

La page son aire de je où tout est permis, du corps puce de la nonpareille au corpus géant du quadruple canon, les rappels en corps diamant du corps initial en rime railleuse, « elle rappelle Jackie Kennedy / elle rappelle elle rappelle / Elle est trop belle pour n’être qu’elle » (cela à propos de Melania, première dame de papier glacé) ; l’usage du point-virgule prosateur en tête de chapitre en guise de deux points ; saturant une page la répétition mais ondulatoire, au genre et sexe d’ « amour » près alternés, d’une déclaration du sentiment ; les parenthèses « ) sous l’aile (» retournées en gage d’ouverture – les transports de Rim Battal, ne lui en déplaise, ne sont pas communs, moins encore communautaires, car l’organe du « transport [est s]on corps : [s]a machine à vivre / à craquer, [s]on pays, [s]on bibelot ». Une poésie incarnée, charnelle, carnassière, à replis sophistiqués ou érudits, Melania en Pénélope ou en lady Borgia.

 

À bras l’accord notre culture est secouée poème, au shaker, en milk-coke. Le bas américain entre en poésie sans titre de séjour.

 

De la jeune histoire (Rim Battal née en 1987) professionnelle (journaliste un temps) et amoureuse qui via Tanger Zone franche l’a menée de Casa à Paris sur un coup de dés, le dé de provenance (« Tout est surmontable / Même la naissance ») de décocher, celui  intensif de dénoncer, celui négatif extensif de désaltérer – quelques échos d’outrance sage que rectifie l’aveu : « Une femme au dos écrit gît sous la robe bleue ».

 

Crescendo et surtout decrescendo (« comme si mes yeux […] ne restituaient plus le monde / qu’en bien et mal / gentil-méchant / cool et pas / cool ») à une exposition de Koons affligeant l’œil d’une Social cataracte, c’est tout un pan du regard qui bascule et se rétracte, un étranglement d’antinomies que resserre l’artiste de langue se mesurant au sculpteur.

 

Maternité (« Elle est / Elle pèse une armée / Meurt au sommeil et domine la cime de mes seins ») en remontée des Enfers d’ « Orphée femme au milieu de Ménades en délire », sous les patronages métis de « Sainte-Marguerite échappée » au dragon et d’Aïsha « Kandicha aux cheveux longs fleuves et mille soldats [portugais colonisateurs] dégommés », pris au piège de sa beauté.

 

Entame à cru de « Penser l’éternelle étrangeté de sa chair // Écrire son nom sans que cela ne fleure ni l’urine ni la rose / Donner à jouer / Donner à jouir // Venir », au zénith de jeunesse.

 

 

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