Treize jours à New-York, voyage compris d'Olivier Domerg par Christophe Stolowicki
À New York ville d’urbaniste en déni d’urbanité dément ; ville fortement piétonne où chaque jour appelle son marathon de New York tant pensé que physique que circulatoire de registres, d’influx ; j’arpente les pages de Domerg comme les rues de la Ville, la rectangulaire, la quadrillée, la tentaculaire en somme, je veux dire en cauchemar – le sien extralucide, traquant « la plate écume du voir ».
En reportage exhaustif comme l’anti-touriste fondamental, flanqué d’une photographe de fond. En faconde à mitraille, plus en verve que le label de jazz. Allé sur le motif urbain sachant le motiver sans cesse et le remotiver. La déferlante loquace canalisée de page en page par une mise en plis, en quadrillage, d’inventivité inlassable, centrée à double bande, passante ou encombrée. Ainsi que d’autres en résidence, Domerg en déambulation d’écriture ainsi qu’on crisse on crie.
Ou le titanesque de ce livre, combat des dieux (de l’argent-roi) et d’un géant, parti à l’assaut des tours jumelles ; expansif escaladant le ciel ; sa puissance d’analyse exorbitée, le regard chargé de plus de pensées que s’il avait mille ans (et aucun souvenir) ; tel son morceau de bravoure (chorus) sur les lumières de la Ville, nocturne de jazz sur la pollution lumineuse exaltée en un poème qui dérive de points virgules en points. minuscules – de prose en poème en changeant seulement de convention ; et en regard, illuminant pour de bon cette nuit, entre l’écrit en marge et le déboîté de formats, un monceau de morceaux, ceux d’un jazz nommé hard bop malgré ses incrustations de free.
À bâtons disruptifs. À typographiques strates du regard, aussi ample qu’analytique, panoramique que rigoureux. En contrepoint d’un poème urbain de corps 12 l’information (« Des frênes ? Vérifier cela (consulter/un guide botanique ») de corps 8 qu’amenuise amplifie un expressionnisme citadin de corps puce de tout son corpus de registres. De syntaxe inventive, soit…soit accordé en nombre en « soient…soient » pour rendre le gigantisme. Blocs de brique et de broc est la Ville au regard de Paul Klee. Un escalier gris tendre de trois Z et des poussières, figurant pleine page ceux de secours en métal polluant les façades d’immeuble, escalade de son abstraction délicate un poème très prosaïque centré, complètement abstrait [...] et complètement exact [...], dirait Klee.
Perec puissance Ponge. Contourné poète un nouveau-romancier, Robbe-Grillet tourné cinéaste (sans l’érotisme). Le regard naviguant à vue de mots. La documentation de plain-pied incorporée au texte (« ici la barre est à plus de huit mètres, quatre cent douze exactement ») avec un humour que Flaubert dédaignait. Au « roulement accentué de / la langue anglomane » décrivant l’acte de décrire aussi peu transitivement qu’un qui décrit de son corps une spirale, s’immergeant dans la prouesse descriptive de l’indescriptible, du lieu en toutes ses occurrences, investi de toutes ses mémoires, « chanté[e], proféré[e], filmé[e], péroré[e]ou peint[e], professé[e] ou photographié[e] ». En un solo de péroraison, de chorus émaillé de retours du thème nous assénant, insinuant les myriades d’accords de son jazz, hard bop mâtiné de free qui hante, scande, relance le poème géant.
Sous couverture glacée, imperceptiblement grenue, pleine double page étageant les formats, c’est une réédition de décembre 2017, presque quinze ans après la parution première (2003), vingt ans après le séjour (1997, hébergés par des amis) où furent prises ces notes et photographies ; avantage d’une lecture tardive – elle fait basculer notre perception du périscopique périple en montagne dont Domerg est devenu le spécialiste, permet d’accommoder.
Telle Brigitte Palaggi dont les photographies, groupées à l’apogée du livre ainsi qu’un générique plutôt qu’en poétisante ponctuation, rectifient, posent, déprosent notre regard. Trois surtout. Assise sur les marches d’un perron d’immeuble une fille à son portable, génie du rez-de-chaussée, croisant haut des jambes de légende sinon de baudelairienne statue, vend ses vieilles fringues, en piles sur le muret ou accrochées à des cintres, au premier plan des gravats de travaux. De géométrie plus implacable d’être saisi en contreplongée ainsi qu’une ombre par grand soleil, l’un des « escaliers de secours au mitan des façades structure métallique conçue en Z [suggérant] la succession de ces Z (l’addition verticale de leurs zigzags) ». Et en retour de subjectivité froissée, de décalques en reflets rendue l’opacité d’un temps mémoriel, deux hommes de dos, surexposés ; au fond un peu distinct, se dédoublant.