20 juil.
2009
Dépositions smithsoniennes & Sujet à un film de Clark Coolidge par Éric Houser
Il y a des textes lisses, il y a des textes striés. Le diptyque de Clark Coolidge, qui nous arrive comme une très surprenante météorite de langage, fait clairement partie de la deuxième catégorie. Sous le titre original, Smithsonian Depositions & Subject to a Film, ce livre était paru à New York en 1980 (Vehicle Editions), mais son écriture remonte à 1974 et 1975 (on peut trouver le texte ici). Un rapide coup d'œil sur la bibliographie (impressionnante) de Coolidge montre la présence, rien que dans les titres, d'un vocabulaire géologique : Quartz Hearts, A Geology, The Crystal Text... Les deux textes de ce diptyque confirment ce trait. Mais attention, « Coolidge décline la possibilité de faire une métaphore de son travail » (postface). D'où, du reste, la difficulté à en parler de manière adéquate. Il s'agit en effet, il me semble, dans l'écriture de Coolidge, de couper court avec l'association, avec le lien. Ce qui ne veut pas dire pourtant qu'il y ait impossibilité de tout récit, car les deux volets abondent en fragments-récits, souvenirs d'enfance, etc. Mais cela interdit d'aborder cette écriture autrement que de l'intérieur, de l'intérieur de sa surface (striée) si je puis dire.
J'ai eu tout de suite l'impression, en lisant ce livre, qu'il s'agissait de quelque chose d'important, tout à fait nouveau pour moi. Je l'ai lu une première fois, en fait pas dans l'ordre car j'ai considéré le texte de Guillaume Fayard comme la partie jambon du sandwich Coolidge, et j'ai commencé par le jambon, ce que je ne fais pas habituellement avec les sandwiches. Et ce texte, plus qu'un commentaire ou une présentation, me semble faire partie de, disons, un « genre » nouveau de critique et d'appréhension des textes. Ce n'est pas de la critique universitaire loin s'en faut, et vraiment pas du tout du journalisme. Je veux dire qu'il passe dans ce texte quelque chose qui emporte, comme une fine empathie, très intuitive, savante, en recherche, jamais ennuyeuse et qui sait en le transmettant susciter le désir.
Les Dépositions sont un centon élaboré notamment à partir des …crits de Robert Smithson, mais également de travaux antérieurs de Coolidge lui-même. Pour ceux qui l'auraient oublié (dont j'étais), un centon est une œuvre constituée d'éléments repris à une ou plusieurs autres et réarrangés de manière à former un texte différent (thank you Wiki). « Ceci est une carte qui vous conduira quelque part, mais une fois arrivé, vous ne saurez pas vraiment où vous êtes. » Je suis sensible dans les deux volets à quelque chose d'immédiatement américain, c'est très banal ce que je veux dire : quelque chose qui appartient en propre à cette culture, qui la démarque de la nôtre par une perception très différente de l'espace et du temps, par une autre manière de les traiter et de composer avec eux.
Il y a dans ce qu'on peut considérer aussi comme un journal de création des passages que je trouve magnifiques :
« L'équation que formait mon langage restait instable, une combinaison changeante de coordonnées, un arrangement de variables se répandant en nombres irrationnels. J'étais hanté par le bloc d'ombre au milieu de mon travail. Comme l'œil d'un cyclone, cela semblait suggérer toutes sortes de mi-fortunes. Cela devenait un point d'exaspération sombre, une gangrène géologique sur l'étendue sableuse. »
Ne cherchez pas midfortunes (ni sa traduction exacte en mi-fortunes) dans les dictionnaires, vous ne trouverez pas.
Il est très intéressant que Guillaume Fayard consacre une partie de son texte au visionnage d'une vidéo sur Spiral Jetty, l'œuvre fameuse de Robert Smithson. Parce que les écrits de ce dernier constituent la source principale du premier volet, et aussi parce qu'il s'agit d'une vidéo, ce qui fait un lien avec la deuxième partie du diptyque, consacré aux Dents de la mer de Spielberg, plus exactement au tournage de ce film.
Je voudrais dire un mot du travail de William Hessel, qui a dessiné ce livre ainsi que les autres livres de la collection « les grands soirs ». Je sais que ce travail a été souvent décrié, à mon avis injustement, bien que je sois peut-être mal placé pour en parler (pas objectif) puisque j'ai publié un livre dans cette collection. Ce dont je peux tout de même témoigner, c'est de l'attention que porte WH au texte qu'il est chargé de mettre en scène pour la collection, d'en maintenir la ligne tout en respectant la singularité de chaque ouvrage, etc. Dans ce volume, on notera que Déplacements de cristaux à Petaluma (Notes 2006-2009), le texte de Guillaume Fayard, est imprimé en blanc sur noir élégants.
J'ai eu tout de suite l'impression, en lisant ce livre, qu'il s'agissait de quelque chose d'important, tout à fait nouveau pour moi. Je l'ai lu une première fois, en fait pas dans l'ordre car j'ai considéré le texte de Guillaume Fayard comme la partie jambon du sandwich Coolidge, et j'ai commencé par le jambon, ce que je ne fais pas habituellement avec les sandwiches. Et ce texte, plus qu'un commentaire ou une présentation, me semble faire partie de, disons, un « genre » nouveau de critique et d'appréhension des textes. Ce n'est pas de la critique universitaire loin s'en faut, et vraiment pas du tout du journalisme. Je veux dire qu'il passe dans ce texte quelque chose qui emporte, comme une fine empathie, très intuitive, savante, en recherche, jamais ennuyeuse et qui sait en le transmettant susciter le désir.
Les Dépositions sont un centon élaboré notamment à partir des …crits de Robert Smithson, mais également de travaux antérieurs de Coolidge lui-même. Pour ceux qui l'auraient oublié (dont j'étais), un centon est une œuvre constituée d'éléments repris à une ou plusieurs autres et réarrangés de manière à former un texte différent (thank you Wiki). « Ceci est une carte qui vous conduira quelque part, mais une fois arrivé, vous ne saurez pas vraiment où vous êtes. » Je suis sensible dans les deux volets à quelque chose d'immédiatement américain, c'est très banal ce que je veux dire : quelque chose qui appartient en propre à cette culture, qui la démarque de la nôtre par une perception très différente de l'espace et du temps, par une autre manière de les traiter et de composer avec eux.
Il y a dans ce qu'on peut considérer aussi comme un journal de création des passages que je trouve magnifiques :
« L'équation que formait mon langage restait instable, une combinaison changeante de coordonnées, un arrangement de variables se répandant en nombres irrationnels. J'étais hanté par le bloc d'ombre au milieu de mon travail. Comme l'œil d'un cyclone, cela semblait suggérer toutes sortes de mi-fortunes. Cela devenait un point d'exaspération sombre, une gangrène géologique sur l'étendue sableuse. »
Ne cherchez pas midfortunes (ni sa traduction exacte en mi-fortunes) dans les dictionnaires, vous ne trouverez pas.
Il est très intéressant que Guillaume Fayard consacre une partie de son texte au visionnage d'une vidéo sur Spiral Jetty, l'œuvre fameuse de Robert Smithson. Parce que les écrits de ce dernier constituent la source principale du premier volet, et aussi parce qu'il s'agit d'une vidéo, ce qui fait un lien avec la deuxième partie du diptyque, consacré aux Dents de la mer de Spielberg, plus exactement au tournage de ce film.
Je voudrais dire un mot du travail de William Hessel, qui a dessiné ce livre ainsi que les autres livres de la collection « les grands soirs ». Je sais que ce travail a été souvent décrié, à mon avis injustement, bien que je sois peut-être mal placé pour en parler (pas objectif) puisque j'ai publié un livre dans cette collection. Ce dont je peux tout de même témoigner, c'est de l'attention que porte WH au texte qu'il est chargé de mettre en scène pour la collection, d'en maintenir la ligne tout en respectant la singularité de chaque ouvrage, etc. Dans ce volume, on notera que Déplacements de cristaux à Petaluma (Notes 2006-2009), le texte de Guillaume Fayard, est imprimé en blanc sur noir élégants.