Je reste roi de mes chagrins de Philippe Forest par Jean-Marc Baillieu
Je reste roi de mes chagrins …et de mes poncifs, aurait pu ajouter l’auteur de ce titre (« une quasi-citation d’Aragon citant lui-même approximativement Shakespeare » !), de ce livre, Philippe Forest. En quatrième de couverture par exemple, cette affirmation contestable (tout est dans tout,…et réciproquement) : « Le roman ressemble au théâtre puisqu’ils sont tous deux pareils à la vie ». N’empêche qu’il mène formellement son projet à partir de ce type de généralité qu’il parsème au long d’un livre à l’architecture toute artificielle et redondante comme pour en masquer l’inconsistance. Qualifié de « roman » (dont il n’aurait que l’apparence), son livre prend la forme d’une simili-pièce en quatre actes avec prologue et épilogue, trois intermèdes situant et complétant les actes divisés en scènes (deux pages en moyenne), le très (ou trop) présent auteur encadrant cela par un « Avant le lever du rideau… » et un « Après le tomber du rideau… », toutes séquences précédées d’une citation de Shakespeare (non traduite en toute désinvolture vis-à-vis du lecteur Lambda) avec, en hors d’oeuvre, quatre pages en italiques sans référence : « Et Dieu envoya Nathan à David …» précédées d’un exergue signé Georges Bataille… Le livre présente ainsi une armure (ou un cache-sexe) le blindant de notoriété(s) en quelque sorte. Très en cour à art press (cf. régulières ses trop longues critiques de livres et son interview par J. Henric en septembre 2019) l’auteur (qui a été récompensé pour trois de ses neuf romans) a écrit quelques essais dont une biographie d’Aragon (multiplement récompensée) auquel se veut redevable l’aspect formel de son roman (mais bien loin de la prestance de La mise à mort ou de Théâtre/Roman) dont l’argument est un tableau représentant Winston Churchill peint pour son quatre-vingtième anniversaire par Graham Sutherland, tableau (que l’on voit en arrière-plan d’une photo non créditée publiée dans art press cité supra) qui fit scandale en 1954 probablement pour l’attitude relâchée prêtée au « vieux lion », tableau que plus tard la veuve du dit vieux lion détruisit par le feu, ce qui n’émeut pas l’auteur outre mesure, de même qu’il se contente de suivre l’hagiographie churchillienne habituelle… Une belle trame a priori que Philippe Forest rend boursouflée tant il est vrai qu’aucun travail en profondeur, aucun souffle n’animent cet inconsistant ouvrage dont l’étincelle provient d’une série télé et dont le ressort (perte d’un enfant) n’active pas vraiment un projet où l’auteur, ici adepte lourdaud de la mise en abyme, souhaitait croiser autofiction et exofiction. Mais n’est pas Joyce (ou même Aragon) qui veut !