LEÇON D'ALGÈBRE DANS LA BERGERIE de Christian Désagulier par Jean-Marc Baillieu
LE LIVRE DE L'ÉTÉ (et plus si affinités)
Le format est proche de celui d’une livraison de l’historique revue Doc(k)s (format ensuite copié par la Revue de Littérature Générale) et le poids est sans appel : un kilo 340 grammes. Ce n’est cependant pas rébarbatif parce que la sobre couverture (blanc cassé) équilibrée est apaisante : en son centre, le dessin simple d’un être debout vu de dos, vêtu d’un pull jacquard, d’un pantalon à rayures verticales, un être dont la tête vue de trois-quarts est d’un profil un peu ursin sous deux oreilles dressées, et si les mains sont comme deux moufles, les extrémités des pieds nus semblent entées de griffes à moins qu’il ne s’agisse de doigts (de pied). En tout cas, l’image n’est en rien agressive, apaisée et apaisante plutôt. Le regard de l’être porte à gauche vers le nom de l’auteur tandis qu’à droite est mentionné : « figures Julia Tabakhova », mais sur les 850 pages de l’ouvrage, les figures n’en prennent que 17 en plus de la couverture (un bémol : les légendes de ces sympathiques « figures » eussent pu éviter l’anglais : en français avec le même type de dessin, ça passe aussi bien, comme le montre par exemple un Michel Herreria). En page finale d’Impressum, J. Tabakhova est aussi créditée de la typographie et du design, plutôt réussis, car ils concourrent à l’aspect oxygénant plutôt qu’enfermant du volume dont ils mettent en valeur une variété de forme et de fond qui est ici un atout majeur.
Oui, variété de forme et de fond, un « disparate »voulu et consenti qui reflète quarante années de lectures et d’écriture, ici ou ailleurs (inégalable compte-rendu d’une mission Stendhal en Ethiopie : Par-delà Finfinni), et que parcourent les six pages d’une claire et précise table des matières judicieusement placée en tête d’ouvrage, juste après une page de citations en exergue (Hugo, Baudelaire, Nerval, Flaubert, Borges, Péret, Blanchard, Youssoufi, x et y) où on peut distinguer : « La démolition, voilà mon diamètre. » (V.H.), « A la matière même un verbe est attaché » (G.de N.), « Quelle différence y-a-t-il entre une phrase et un vers ? – Il n’y en a point. » (J.L.B.), « Je ne puis avancer que si l’on me barre le chemin. » (M.B.), ce qu’à (sa) façon reprend le ou la (P. Léautaud) prière d’insérer en quatrième couverture : « Comment se fier au vers, pluriel au singulier, vert et luisant, vers où aller ? » entre rêve et réel, savoir et imagination, quand le vers est « racine algébrique du poème » aux mots mis en facteur ? D’emblée et en fin d’ouvrage (paradoxe du texte de 4èmede couverture), C. Désagulier (né en 1957) écrit au lectorat potentiel que « ce livre est la somme provisoire de tous les vers ». Et donc cette table qui distingue onze parties amplement détaillées (pour flairer, tester le contenu, on peut ainsi aller voir à telle page ce qui se passe, se trame derrière tel mot qui retient, attire…) sous des titres explicites : Fentoèmes, Petites épopées, Eléments de chimères, Collation par ex.
Et l’auteur, le poète n’écrit pas ici que pour lui, il s’adresse à un, une, des autres, empathie perceptible par exemple dans ses nombreux et inspirés comptes-rendus de lecture parmi les pré-publications que répertorie une liste chronologique de deux pages et demie très serrées en note finale : revues de qualité surtout (Oracl, In’hui, Po&sie, Jalouse Pratique, Fin, Pleine marge, Toute la Lire, Catastrophes, Teste, 591, CCP) ainsi que sur sites (Poezibao, Sitaudis). N’ayant, à cette heure, lu qu’une fois cet ouvrage d’un poète déjà croisé en revues, ayant laissé passer une nuit conseillante, le critique se fait volontiers courtier de ce fort volume (en rien pesant) avec lequel s’est créée une « affinité élective », qui l’accompagnera juin durant, un volumen qui sera « forcément » repris, relu, et de diverses façons, tant il se prête à l’ouverture (et c’est vrai aussi de la souplesse bienvenue de la reliure!). Et s’en tenir pour l’instant quasiment qu’au paratexte, préciser encore que les onze parties comprennent de 3 à 380 pages, que l’on peut commencer par les plus courtes (Leçon de couleur, pp. 303-305 est une clef) ou celles en vers, ou celles en prose, ou suivre le chemin (qui se fait en lisant) balisé (n’est pas omise la musique : superbe Éloge de la guitare, pp. 338-344) par l’auteur, chimiste de formation (d’où des Fusion et Carbonisation, entre autres, une relecture des Hymnes à la nuit de Novalis peut-être aussi). Ce n’est pas ici qu’ « Étrange vrille sur soi » (p.286), ça respire, ça retient et ça oxygène, et si intrigue le titre de ce livre généreux, voir page 65 en bas : non, le lecteur n’est pas un mouton dans un livre qui serait une bergerie où un poète enseignerait l’algèbre… Allez ! En avant !