Nuages de Boris Wolowiec par François Huglo
Poétique de l’objet ou de la rêverie ? Ponge ou Bachelard ? L’un et l’autre sans doute (et ce n’est pas un hasard si ce livre est publié par Laurent Albarracin), mais à travers une poétique de la syntaxe. Le sens est l’intendance qui suit, ou ne suit pas, selon la direction du vent (de la lecture) et sa vitesse. Ou il s’immobilise, comme paralysé, interdit, au bord d’un rire idiot.
« Noli tangere golgotha goodbye des nuages.
Imbroglio taciturne des nuages, amalgame d’inconnu taciturne des
nuages, magma d’innocence inconnue des nuages ».
La syntaxe assemble : cumulus bourgeonnants, cirrus nombreux, cirro-cumulus, nimbo-stratus, cumulo-nimbus. Se succèderont :
- une suite de mots (noms, adjectifs, verbes, adverbes, prépositions…), séparés par des virgules, appositions au mot « nuages ».
- une série où le mot « nuages », répété, est suivi d’appositions formées d’un ou plusieurs mots (nom-adjectif ou génitif).
- une autre série où le mot « nuages » devient le génitif d’ensembles nom(s)-adjectif(s) ou nom(s)-complément(s) de nom.
- des paragraphes composés d’une ou plusieurs phrases dont le mot « nuages » est le sujet, et où le verbe est suivi d’un complément ou d’un attribut.
Au saint axe de la phrase vertébrale, ou arborescente, sont préférés, du moins dans la première partie, l’agglomérat de mots-masses et la strate (le paragraphe). Le livre n’est-il pas un tas de pages, chacune tas de paragraphes, eux-mêmes tas de lignes ? Mais au modèle géologique du sédiment, il faut substituer celui du champ électrique d’attractions et de répulsions. Témoin d’accumulations successives, le lecteur précipite, ralentit, ou interrompt, un défilement qui ne le mènera nulle part, ne mènera qu’à lui-même, à sa lecture mise à nu(e).
Dans la seconde partie, deux phrases —deux aphorismes— s’étirent, s’effilochent, prolongent en de multiples directions des filaments récapitulatifs qui dérivent, comme pour se fondre dans l’immobilité du ciel. « Les nuages montrent le silence de l’aujourd’hui. Les nuages calligraphient le silence de l’aujourd’hui» devient, par exemple : «Les nuages absorbent la monstruosité de l’espace. Les nuages absorbent la monstruosité du vide de l’espace. Les nuages métamorphosent la monstruosité du vide de l’inconnu. Les nuages métamorphosent le vide en magma d’implosion de l’amnésie, en orgie de candeur de s’évanouir ».
À lire comme face au ciel, face au « gag de grâce de l’aujourd’hui », pour y prendre « le bain de toujours avec déjà ».