13 oct.
2009
Survivance des lucioles de Georges Didi-Huberman par Jean-Marc Baillieu
Dans un monde d'images où le « Comment ? » a évincé le « Pourquoi ? », sommes-nous face ou à l'orée d'une catastrophe ? Faut-il baisser les bras ou espérer ? Georges Didi-Huberman (qui a beaucoup écrit à propos d'art et d'image) répond à partir d'étapes dans l'œuvre du poète et cinéaste Pier-Paolo Pasolini qui « a pensé ce rapport entre les puissantes lumières du pouvoir et les lueurs survivantes des contre-pouvoirs », ces lucioles dont Denis Roche entérina la disparition (Ed. de l'Etoile, 1982). Des « lueurs du désir et de l'innocence » sous le fascisme mussolinien au crypto-fascisme latent des années 1970 (les « années de plomb »), la vision de P.P. Pasolini se serait assombrie jusqu'au pessimisme («L'articolo delle lucciole » de 1975, traduit par P. Guilhon dans Ecrits corsaires, Flammarion, 1976), même si c'est oublier un peu vite l'inachevé, combatif et ravageur Petrolio (Einaudi, 1992, traduit par R . de Ceccatty, Pétrole, Gallimard, 1995). Sur une juste intuition, Didi-Huberman évalue alors la réponse de Giorgio Agamben (un proche de P.P. Pasolini et l'apôtre Philippe dans Il vangelo secondo Matteo, 1964) qui adopterait aussi une position découragée, notamment du fait de la « destruction de l'expérience ». Didi-Huberman survole plus qu'il n'approfondit la pensée d'Agamben (plus complexe que le résumé partial qu'il en fait) avant de convoquer quelques écrits de Walter Benjamin (dont on sait les circonstances du suicide) et de Georges Bataille pour contester le pronostic des deux Italiens et prôner la « volonté de chance » de « tant de signaux dans la nuit » malgré la chape de plus en plus pesante : « échapper au feu des projecteurs pour mieux émettre ses lueurs de pensées, de poésies, de désirs, de récits à transmettre coûte que coûte », « affirmer la pensée à hauteur d'expérience » même en position de retrait (rappel des Réflexions sur Lessing d'Hannah Arendt)... Didi-Huberman, pour qui les images « ouvrent l'espace » pour « organiser le pessimisme », écarte toute vision apocalyptique. Ce trajet réflexif, inégal dans sa rigueur théorique, a le mérite de poser, de manière ouverte et non pesante, la question récurrente du « Qu'y faire ? », voire celle du « Que faire ? », à la lueur de philosophes-poètes du XXème siècle adéquats, mais n'oublions pas que Pasolini et Agamben ont plus vécu dans un monde envahi d'images que Benjamin et Bataille.