Baudelaire de Walter Benjamin par Éric Houser
Baudelaire, la fabrique : un appui à la pensée
Je ne surprendrai pas en énonçant que la publication de l’opus magnum de Walter Benjamin, ou, mieux dit, d’un chapitre de son opus magnum, son Baudelaire, est quelque chose comme un événement. À un double titre. D’une part, en raison de la circonstance tant de son écriture que de sa publication. D’autre part, et surtout peut-être, en raison de tout ce que cela engage pour la connaissance de l’œuvre de Benjamin, et de tout ce que cela nous dit, aujourd’hui en 2013, d’un certain mode, disons, d’abord des choses (pas seulement de la chose littéraire, car cela va bien au-delà), mode dont la modernité et l’actualité sont loin d’être épuisées. Tant elles sont, pourrait-on dire, encore au-devant de nous (c’est le cas aussi à mon avis, d’une autre manière, pour Pasolini ou pour Gertrude Stein). C’est bien le propre des œuvres de génie que de nous propulser (mais pas d’un coup, non, il faut tout un temps pour réaliser ce qu’elles sont et ce qu’elles font) dans une zone encore totalement inconnue, indécise, de la pensée. Quand je dis pensée, attention, je n’entends pas par là quelque chose d’essentiellement intellectuel ou conceptuel. Il y a ça, bien sûr, chez Benjamin, mais essayons de ne pas oublier ce que Lacan en dit, de la pensée, notamment à travers le néologisme (de génie) qu’il forge aux alentours du Sinthome (en 1976, donc)*. Pour revenir à Baudelaire, et plus largement au travail de Benjamin sur Paris au XIXème siècle, l’on sait que cela ne s’est pas fait comme dans du beurre. Il y a eu de l’opposition, de la contradiction, du refus (Adorno, Horkheimer). Il a dû lutter, Benjamin, pour publier ses travaux. Autre indice de son génie précurseur, soit dit en passant. Et pour ce qui est de ce livre-ci, il aura fallu attendre plus d’un demi-siècle pour qu’il voie le jour en tant qu’objet (un objet ô combien problématique), et nous soit ainsi livré, aujourd’hui, par l’intermédiaire et de ceux qui l’ont comme on dit si bien établi, et des bien nommées également (en l’occurrence) éditions La Fabrique. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, on s’en doute ! Benjamin posthumément ne nous livre pas un essai calibré à la sauce essai, mais quelque chose comme un monument non-monumental (palais des glaces, château en Espagne...), d’érudition, de sensibilité et (je n’hésite pas à l’écrire) d’amour. Je ne peux pas rentrer plus avant dans le contenu, vu que je n’ai acheté l’ouvrage qu’il y a quelques heures seulement, que ma journée a été bien remplie, et qu’il compte quand même la bagatelle de 1000 pages. Je tenais seulement, en écrivant cette note, à signaler la parution, qui est importante et sur laquelle il conviendra bien évidemment de revenir, à tête reposée. Je me sens d’autant plus concerné par cette belle publication que je ne suis encore qu’un piètre connaisseur de l’œuvre de Benjamin (joie de savoir qu’il me reste tant à découvrir !), et que j’habite à 14 numéros (même pas 100 mètres) de l’immeuble où il vécut à Paris entre 1938 et 1940.