FEU !! Harlem 1926 (coll.) par Christian Désagulier
Un premier et unique numéro de FIRE !! HARLEM 1926 (FEU !! HARLEM 1926) comme on le mettrait aux deux boosters ! et ! d’une fusée dont la coiffe contiendrait un extrait de roman, deux nouvelles, un essai, une pièce de théâtre et des poèmes ; une revue rythmée de vignettes art déco, dessins au trait et bois gravés aux noirs denses ; un numéro unique, le stock ayant brûlé lors d’un incendie comme si le titre de la revue lui avait mis le FEU !! ; sous la direction de Wallace Thurman, 14 contributeur-e-s dont Langston Hugues en jeune écrivain de 24 ans aux poèmes émetteurs fort et clair et toujours en orbite dans l’espace de la poésie américaine – dans l’espace du poème ..
La revue FIRE !! témoigne de ce qui s’est appelé « La Renaissance de Harlem » (Harlem Renaissance), ce mouvement artistique que la postface de Claire Joubert contextualise, actualise, éclaire comme une fusée, pour reprendre sa comparaison ; un manifeste sous-titré « Trimestriel dédié aux jeunes artistes nègres » (Dedicated to younger negro artists) pour donner à lire, c’est-à-dire à voir et à entendre à quelles gorges la langue africaine-américaine s’est enracinée et desquelles affranchie, s’émancipe.. Car si le corpus des écrivains et poètes africains-américains est considérable depuis Phillis Weathley né-e au Sénégal en 1753, la nécessitée s’impose dans les années 20 de mettre en avant les talents expressifs et différenciés des lettré-e-s noir-e-s dans la valorisation des virtualitées formelles de la langue anglaise-américaine transmise sur le tas de coton : en 1926, une population considérable d’anciens esclaves peut encore témoigner directement et leurs récits être recueillis dans le cadre du Federal Writer’s Project 1936-1938..
Dans l’anthologie La poésie négro-américaine parue chez Seghers en 1966, Langston Hugues écrit, toutes illusions abrasées : « La plupart des poètes noirs il y a cent ans, et la plupart des poètes noirs d’aujourd’hui ont le sens de la protestation… Le sujet de base le plus authentique de la poésie des Noirs n’est pas l’amour, les roses, le clair de lune, ou la mort et le désespoir pris dans l’abstrait, mais la race et la couleur (et les problèmes émotifs qui s’y rapportent) dans un pays qui traite ses citoyens de couleur, y compris les poètes, comme des parias. » Pas sûr que les choses aient changé décisivement dès lors que la langue restera intrinsèquement discriminante et maquillera la contradiction sous couvert de logique floue : ainsi Liberté, Egalité, Fraternité ne prennent-elles pas encore de « e » au féminin en langue française et si l’on ne dit plus « négro » ni « nègre » on dit encore « noire », avec ou sans « e », ce qui est faux à précisément parler, puisque d’être humain à peau noire ou blanche il n’existe que dans l’obscuritée intérieure du corps ou bien carbonisé : FIRE !! HARLEM 1926, première tentative de démonstration..
Et que les traductions de FIRE !! soient le fait d’un seul traducteur, Etienne Dobenesque parvenant à restituer la diversitée des styles des contributeur-e-s, n’est pas le moindre des défis qui aient été relevés et dont il explique les modalitées en note de fin.. On pense en particulier à la traduction des dialogues en « dialecte » de Harlem dans la pièce de Zora Neale Hurston, laquelle demeure un pur poème sonore..
Le fait est rare qu’une revue en langue étrangère, fût-elle unique aux sens d’une et d’incomparable, fasse l’objet et d’une traduction intégrale, respectueuse des singularitées comme des récurrences, et d’une reproduction à l’identique, sans être un facsimile – une performance graphique signée Pauline Nuñez – alliées à l’intemporalitée des contributions, leur actualitée – fasse un poème de poèmes, un défi éditorial relevé et remporté : FIRE !!