Jean Daive : la partition par Éric Houser
« Tout le plaisir a été pour moi » (1)
Tout le plaisir, oui, car c’en est un que de découvrir le foisonnant livre publié chez Hermann (éditeurs des sciences et des arts), et rassemblant en un seul volume les actes d’un colloque qui s’est tenu en 2011 à l’ENS et à l’ENSBA de Lyon, colloque consacré à Jean Daive. Le maître d’oeuvre de l’affaire, Éric Dayre, signe un avant-propos éclairant, comme un bouquet qui permet non pas de surplomber, mais au contraire de sousplomber (je risque ce néo) cette belle partition (2).
On n’est pas obligé bien sûr d’adhérer à toutes les propositions du Daiveland (il y en a tellement !). Pour ma part, je resterais réservé sur « Le monde, je ne peux le comprendre qu’à partir d’Auschwitz » (citation extraite de La Condition d’infini 6-7, 1997), tout au moins si l’on la reçoit sans atours, hors de tout contexte d’énonciation. Pourrait-elle être considérée, dans son obturant propos, comme... un Witz ? (cette question mériterait d’être dépliée : pour tout ce qui a pu être dit, proclamé, sur ce thème, il convient de tenir compte du lieu et du temps de l’énonciation, qui ne sont pas sans effets).
De même, au rayon traduction, je reste « sceptique » devant le choix daivien de rendre « Feuchtes,/ Viel », de Celan (dernier vers de Todtnauberg, poème dont on sait l’importance pour son auteur) par « de l’humide, très ». Il est fautif, me semble-t-il : « de l’humide, beaucoup » (3) n’est-il pas, en l’occurence, le seul choix possible ? Je ne trouve aucun hermétisme dans ces deux ultimes mots. Pourquoi en ajouter ?
Mais l’arbre (l’arbuste) ne doit pas cacher la forêt, et il est fort agréable, six années après le dossier du Cahier Critique de Poésie, de découvrir toutes ces nouvelles contributions de lecture. Je ne m’attarderai pas sur l’une ou l’autre d’entre elles en particulier, mon unique but étant de donner envie d’acheter ce livre. Il est déjà précieux pour les anciens lecteurs de Jean Daive, il le deviendra à coup sûr pour les lecteurs futurs de l’une des oeuvres phares de la fin du XXème siècle.
Pour terminer ce billet, j’avouerai mon grand plaisir à découvrir les textes d’Alessandro de Francesco et de Patrick Beurard-Valdoye. Du premier : « le vers est une intermittence, un commencement et un recommencement qui trace l’entrée dans l’état du discours comme rythme de la pensée. La poésie, par conséquent, tend toujours vers la prose, et vice versa » (pages 144-145). Du second (je n’extrais que ces trois lignes mais tout le poème de P B-V, Le Méridien de Stuttgart, est admirable) : « et voici le savon grillé, derrière les grilles de la parole, arraché par la haute voix afin qu’écriture ne se grippe pas, mis sur orbite sur la trajectoire du savoir, délié de la parole dès lors que les ondes commandent » (pages 178-179).
(1) titre d’un album du chanteur néerlandais Dave, sorti en 2006 sous le nom de Dave Levenbach ; la même année que L’exact réel (entretiens avec Anne-Marie Albiach, publiés par Éric Pesty).
(2) Jean Daive : la partition, sous la direction d’Éric Dayre (Hermann 2013, 340 pages, 32 €). Contributions : Pierre Parlant, Esther Tellermann, Jean Daive, Jean-François Puff, Marie-Anne Macé, Jean-Luc Bayard, Francis Cohen, Alessandro De Francesco, Michèle Cohen-Halimi, Patrick Beurard-Valdoye, Bernard Böschenstein, Noura Wedell, John Steen, Pierre Brullé, Jérôme Mauche, Christian Jaccard, Denis Briand, et Isabelle Garron.
(3) voir dans Andréa Lauterwein, Paul Celan, Belin 2005, page 187.