L'arbre le temps de Roger Giroux par Jacques Barbaut
Il y aurait, il y a, cette petite centaine de pages, peu occupées, formant recueil — recueil, précise Jean Daive (ccpM, n° 15, « Roger Giroux / Maurice Roche », 2008), dont la conception commença dès 1949 —, qui fut publié en 1964 au Mercure de France.
Soit une quinzaine d’années nécessaires — « Voir quelqu’un qui pour raturer un seul mot met six ans de réflexion » (J. D., p. 20, op. cit.) —, le temps d’un arbre, pour une maturation, une condensation, cette montée de sève — de racines en rameaux : L’arbre le temps.
Il y aurait eu à l’origine l’apparition et la hantise, l’apparition d’une hantise, la hantise d’une apparition ; la conjonction d’une nécessité, d’une exigence, d’une poussée intérieure, avec l’érection et la persistance d’une Image :
« Je voulais alors décrire un paysage : cela me
hantait. Et je hantais ce paysage où se tenait un
arbre. » (p. 10)
Il y eut cet unique volume imprimé « de son vivant », d’un poète décédé en 1974, à l’âge de quarante-neuf ans, qui envoya des cartes postales depuis l’hôtel de la Tour Saint-Jacques, 10, rue Nicolas-Flamel ; qui publia en 1951 dans la seule et unique livraison de la revue Éléments, dirigée par Maurice Roche, dont le sommaire réunit Édouard Glissant, Jean Paris et Pierre Schaeffer ; qui fut traducteur notamment de Henry Miller, du Quatuor d’Alexandrie, de Lawrence Durrell, culte selon quelques cabalistes, et travailla à la « Série noire » ; qui laissa d’ésotériques, inachevés, mallarméens messages sur la lettre même, où le X final de Roger GirouX semble opposer un sacré barrage : Poème (Th. Ty., 2007).
Écriture de l’empêchement — « Rien n’est jamais dit. Et, toujours, dire ce rien » (p. 19), s’exhorte paradigmatiquement R. G., tandis que son contemporain Robert Pinget relancera heureusement, de biais, la machine à désirer : « Rien n’est jamais dit puisqu’on peut le dire autrement » — ou poésie du silence, du blanc, de l’absence — L’absence d’écrire est mon travail — ou de l’extrême rareté : un arbre, un seul, un pin, qui engendre en dépit de tout une écologie, tout un éco-système : le « rappel des oiseaux », microcosme et cosmos…
« une corneille, parfois, s’y repose, mais n’y
séjourne pas. Les étoiles elles-mêmes ne font que
passer par les trous de ce haillon, tant elles craignent
la dérision d’une seule cigale. » (p. 27)
C’est, ce sont, L’arbre le temps, tel que le réédite à l’identique Éric Pesty, en une troisième impression, dans ces cahiers cousus et sur presses typographiques.
* * *
Nue,
Frileusement venue,
Devenue elle sans raison, ne sachant
Quel simulacre de l’amour appeler en image
(belle d’un doute inachevé
vague après vague,
et comme inadvenue aux lèvres), ici
d’une autre qui n’est plus
que sa feinte substance nommée
Miroir, abusive nacelle,
eau de pur silex.
(p. 61)