03 déc.
2008
L'Enfer de Dante, traduction intégrale de Stéphane Bérard par Éric Houser
Bérard d'enfer
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On ne peut qu'éprouver une joie (une joie mauvaise ? non, une joie) en lisant intégralement cette «traduction intégrale» de la Comédie1. Imaginer la gueule des sociétés d'études dantesques (trans- ou cisalpines, d'ailleurs : c'est commun), on peut. Stéphane Bérard est trop intelligent (malin) pour ne pas compter avec la réception de son travail. «a fait partie de son travail. Mais une fois passé ce premier effet (joie), on rentre alors dans la lecture (l'intégrale : L'enfer l'intégrande, SB l'opérateur ?). Vite, on pense au «fridge effect» d'Ezra Pound (mélange d'archaïsmes et d'expressions modernes), autre nom du fameux «make it new». Mais contrairement à ce que fait Pound avec par exemple Donna mi prega (Cavalcanti), Stéphane Bérard ne maintient ni le schéma métrique, ni la versification de l'original. Exemple (ne nous compliquons pas l'existence, prenons le célébrissime début du chant I). vo : Nel mezzo del cammin di nostra vita / mi ritrovai per una selva oscura, / ché la diritta via era smarrita. / Ahi quanto a dir qual era è cosa dura / esta selva selvaggia e aspra e forte / che nel pensier rinova la paura ! / Tant' è amara che poco è pi? morte ; / ma per trattar del ben ch'i' vi trovai, / dirÚ de l'altre cose ch'i' vo scorte. Risset : Au milieu du chemin de notre vie / je me retrouvai par une forêt obscure / car la voie droite était perdue. / Ah dire ce qu'elle était est chose dure / cette forêt féroce et âpre et forte / qui ranime la peur dans la pensée ! / Elle est si amère que mort l'est à peine plus ; / mais pour parler du bien que j'y trouvai, / je dirai des autres choses que j'y ai vues. Bérard : À 45 ans, je me retrouvai dans une forêt, / Tout perdu vers la gauche. / C'est dur de dire comment j'ai / Eu peur, si ce n'était qu'à la gorge, / Aucune salive ne transite, / Dieu / Sait si pourtant j'essaye de déglutir. / Plus traumatisant cela semble dur, / Ceci étant, j'en tire quelques leçons. L'opération de Stéphane Bérard je ne l'appelle ni traduction (faut pas pousser le wagon, comme dit Luis Rego dans Maine Océan), ni adaptation (trop mou, trop faible), mais tout simplement lecture. Ou alors, si on veut garder « traduction » (ce que fait cette édition), on peut l'entendre non dans le sens usuel (d'une langue dans une autre) mais dans un sens dérivé (d'un idiome poétique déterminé - médiéval tardif - dans l'idiome poétique contemporain). Pour ce faire, Bérard mobilise les ressources d'une imagination vive, en alerte. Il fait ce que Leopardi (nombreux passages dans le Zibaldone) reproche aux Français de ne pas faire, bridés qu'ils sont (à son époque du moins ; il écrit bien avant Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire...) par le carcan d'une littérature « la moins imaginative de toutes les littératures », dit-il. Cela ne va, je pense, sans une certaine cruauté (la cruauté des jeux d'enfants), car sans cruauté on n'arrive à rien.