LA PASSION ARTAUD, Revue La Célibataire par Jacques Barbaut
Artaud - tau ou tare
On connaît bien depuis le en tout point splendide essai de Jacob Rogozinski intitulé Guérir la vie. La Passion d’Antonin Artaud (Ed. du Cerf, 2011), qui déplie admirablement la dentelle sonore, la trame phonique – l’anagrammatisation des art et la frappe des tau –, la chaîne signifiante des noms, des surnoms, des signatures, des ersatz, des sobriquets, des pseudonymes, des paronymes de l’autre Crucifié du Golgotha – A. A., le Mômo (« entre le môme et la momie »), Arto, Tarot, Marteau, le Torturé, le Taré ou le Raté, Saint Tarto, Arland Antoneo, Arlanapulos, Antonin-Roi, Antonin Nalpas… (j’en passe et de beaucoup) –, l’ambivalence ou l’ambiguïté, chiasme et conjonction, du symbole de la croix – « à la fois le signe abject de l’imposteur Jésus-Christ et l’emblème plus archaïque et plus vrai du rituel tarahumara » –, croix ou tau qui se conjugue ou s’oppose au cercle, au Soleil, jusque dans son dernier poème incessamment repris, « Tutuguri »…
Quand Esther Tellermann, psychanalyste, écrivain, coordinatrice du numéro 29 de la Célibataire – celui-ci ponctué – mieux, troué – par de nombreux fac-similés : « Sur des petites feuilles quadrillées de papier perdu d’écolier, je composais de passives figures, comme des têtes ravagées d’asthmes, d’affres et de hoquets… » –, qui – outre la reprise de certains des souvenirs de Jacques Prevel (« il faut l’avoir connu et tout ce qu’on écrira sur lui sera toujours au- dessous de la vérité ») introduits par Bernard Noël et d’un entretien entre Mathieu Bénézet et Gaston Ferdière, l’électrochoqueur – rassemble les contributions d’une journée (9 février 2013) qu’elle organisa à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes en Psychopathologies, interroge Evelyne Grossman, éditrice des deux tomes des Cahiers d’Ivry (février 1947-mars 1948, 2 342 pages au total – « graphorrhée », disent-ils), sur le « Théâtre de la Cruauté considéré comme pivot de l’œuvre », cette dernière cite en réponse (c’est page 82) un passage d’une lettre d’Antonin Artaud à l’éditeur Henri Parisot datée d’octobre 1945 :
« Lorsque je récite un poème, ce n’est pas pour être applaudi mais pour sentir des corps d’hommes et de femmes, je dis des corps, trembler et virer à l’unisson du mien, virer comme on vire, de l’obtuse contemplation du bouddha assis, cuisses installées et sexe gratuit, à l’âme, c’est-à-dire à la matérialisation corporelle et réelle d’un être intégral de poésie. Je veux que les poèmes de François Villon, de Charles Baudelaire, d’Edgar Poe ou de Gérard de Nerval deviennent vrais, et que la vie sorte des livres, des revues, des théâtres ou des messes qui la retiennent et la crucifient pour la capter, et passe sur le plan de cette interne magie de corps, de ce transvasement utérin de l’âme à l’âme, qui corps par corps et faim d’amour pour faim libère une énergie sexuelle enfouie sur laquelle les religions ont jeté l’excommunication et l’interdit, et que la tartufferie hypocrite du siècle distille dans ses partouses secrètes , en haine de la poésie. Le sexe est sombre, Henri Parisot, parce que la poésie l’est encore plus. »
Il n’y AuRaiT ici rien à AjoUter…
(– qu’un simple coup de D ?)